
La biologie médicale en France est une composante importante du système de santé, un enjeu stratégique dans l’organisation des soins. Elle concourt au diagnostic, au dépistage, au suivi des patients. Elle est réalisée en France pour 70% dans le domaine privé, ce qui est un pourcentage important comparé à d’autres pays où le secteur public en prend une plus grande partie en charge.
Il y a une dizaine d’années, 70% des LBM français étaient des structures de petite taille réalisant un CA de moins de 1 million d’euros, au cotés desquels co existaient 2 entités de biologie spécialisée : Cerba et Biomnis.
Il existe aujourd’hui moins de 450 structures indépendantes pour près de 4000 sites de prélèvements, 800 plateaux techniques en 2017 alors qu’il en existait encore 1200 en 2012.
En l’espace de quelques années, les LBM se sont donc fortement consolidés. En 5 ans, la part de LBM de plus de 20 millions de CA est passée de 24 à 46% du marché. La majorité de ces groupes est détenue par des fonds d’investissement internationaux, en LBO (voir les précédents articles de ce blog pour plus de précisions).
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Evolution juridique et capitalistique
Les laboratoires de biologie médicale en France sont essentiellement exploités sous forme de SEL (structures d’exercice libérales) depuis leur autorisation dans les années 1990. Afin de trouver un équilibre entre besoin de financement et la nécessaire protection de l’indépendance professionnelle, la législation française imposa que plus de la moitié du capital et des droits de vote d’une SEL soit détenue par les professionnels de santé y exerçant. Ces conditions restrictives ont pris forme à travers le décret de 1992 (limitation de la détention du capital et droits de vote autorisés aux non biologistes à 25%, les prises de participation des biologistes non exerçants à 2 SEL de biologistes et interdiction à certains industriels (notamment de réactifs) ou entreprises et organismes d’assurance et de capitalisation d’y prendre des participations de façon directe ou indirecte). Par la suite, la loi MURCEF de 2001 a autorisé des biologistes (personnes physiques ou morales) n’exerçant pas dans une SEL à pouvoir y être majoritaire au capital. La profession n’a pas immédiatement entrevu la problématique venue de l’étranger, là où la les sociétés de biologistes ne sont pas nécessairement détenues par des biologistes. En s’engouffrant dans la brèche créé par la loi MURCEF, les financiers ont utilisé des sociétés de biologie étrangères qu’ils contrôlaient pour prendre des participations majoritaires dans les SELs de biologie françaises. La loi 2008-776 du 4 août 2008 (article 60) a ensuite officiellement ouvert le capital des SEL à des personnes extérieures à la profession (pour les professions de santé, limité à 25%). Le décret du 17 juillet 2012 a par la suite préconisé qu’une SEL ne soit désormais plus limitée ni en nombre ni géographiquement pour l’exercice sur plusieurs sites. La loi n°2013-442 du 30 mai 2013 a ensuite précisé que l’article 5-1 de la loi du n°90-1258 du 31 décembre 1990 relative aux SELs ne s’applique pas aux SEL de biologistes médicaux : la majorité du capital et des droits devant être détenue directement ou indirectement (via les SPFPL) par des biologistes médicaux en exercice au sein de la SEL. MAIS les SEL créées antérieurement à la publication de la loi et utilisant l’article 5-1 pouvait demeurer en l’état. La disposition prévoyant que la cession des parts sociales ou actions puisse se faire prioritairement au bénéfice des biologistes exerçant dans ces sociétés a été d’emblée inopérante dans les conditions offertes par le Private Equity. Enfin, la loi Macron de 2015 n’a pas non plus permis de clarifier la situation de la détention capitalistique et gouvernance des SELs (voir analyse parue dans EDP biologie).
Entre-temps, l’Ordonnance portant réforme de la biologie médicale était publiée, dont les règles prudentielles, qui auraient pu être un levier protectionniste majeur, ont été réduites à leur plus simple expression, avec un seul cahier des charges, l’Euro-compatibilité.
L’ensemble de l’appareil réglementaire en apparence motivé par le souci de limiter la financiarisation de la biologie médicale se révèle sans surprise aujourd’hui parfaitement inopérant. Ce phénomène n’a pu être contré ni par les Ordres professionnels, ni par les ARS, faute de texte adapté et applicable.
Cette situation de vide juridique, les grands groupes ne la connaissent pas : actions de préférence, démembrement d’actions, montages juridiques internationaux, opacité du droit des sociétés, optimisation fiscale, achat « en râteau » (rachat de filiales voire de sous filiales). L’imagination des investisseurs est sans limite. A l’instar de leur capacité de financement puisque le Private Equity propose aux biologistes cédants un prix représentant en moyenne 10 fois leur EBE, les actifs les plus stratégiques ayant pu être valorisés jusqu’à 20 fois leur EBE. Ce qui représente une valeur de vente de deux à trois fois ce qui aurait été établi entre associés personnes physiques il y encore quelques années. Le chant des sirènes auquel beaucoup n’ont pas résisté. L’accréditation obligatoire et les baisses successives de tarification ont enfin joué un rôle prépondérant dans la décision de vendre pour nombre de biologistes dirigeants.
Tout cela n’a pas été le fruit du hasard. Deux ans après le rapport de l’IGAS sur la biologie médicale (rapport Delalande de 2006) appelant à la transformation d’un secteur trop morcelé était présenté au Conseil d’analyse économique un rapport dénommé « Private Equity et le capitalisme français » dont les recommandations préconisaient l’allègement de la fiscalité, l’amélioration de la liquidité des fonds de « Private Equity« , l’ensemble des dispositifs visant à accélérer la croissance des PME et l’intensification de l’innovation et de la R&D.
L’exemple type : Novescia et le fond Acto Capital
En parallèle, les fonds d’investissement se sont organiser dès 2007. Un des 1ers fonds à se positionner, Acto Capital, rebaptisé Ekkio Capital produisait en 2008 un document définissant « l’opportunité d’investissement dans le secteur de la biologie médicale de routine sur un marché français voué à se consolider et à s’industrialiser à court terme, avec une perspective de croissance favorable dans un marché protégé des pressions économiques » (pour ne pas dire financé par les fonds de Sécurité Sociale). Ce projet s’appelle Novescia, il a l’ambition de devenir un leader français de la biologie de ville et va s’appuyer sur l’expertise du dirigeant du pôle de biologie médicale du groupe de clinique Générale de Santé et de plusieurs consultants issus du milieu de la biologie hospitalière, apportant leur caution scientifique au projet. Il est abondé par les actifs de l’assureur français Groupama.
Dans ce document, plusieurs éléments chiffrés :
– un investissement de 125 M€ pour 50 M€ de fond propre (60% dette)
– une rentabilité attendue de 4.7x l’investissement à 5 ans avec un TRI supérieur à 50% (achat aux biologistes à 5X EBE; valorisation secondaire par le fond à 8X EBE; valorisation sur le marché espéré entre 10 et 14x EBE).
A 5 ans, une revente à 8 X EBE, transforme un investissement de 100 en 300 (avant impôt). L’équipe de gestion du fond perçoit quand à lui 75.
En septembre 2008, Patrice Chapuis quitte donc la Générale de Santé pour créer Novescia. Il
fédère des laboratoires en ville ou dans les cliniques autour de pôles régionaux et de
plateaux techniques automatisés. Pour ce faire, il associe les médecins biologistes dont il
rachète les LBM, au capital et aux décisions. En 2010, Novescia a repris plus de 70
laboratoires indépendants en rachetant les 25 laboratoires détenus par le précédent
employeur de Patrice Chapuis : la Générale de Santé.
Devant les piètres résultats de la société, en avril 2011, Patrice Chapuis est débarqué Pierre
Forest prend la présidence de Novescia. A cette époque, ce GIE regroupe en France près
de 80 laboratoires et 1 600 salariés pour un chiffre d’affaires de 130 millions d’euros. La société propose aux dirigeants de laboratoires rachetés de rentrer au capital des holdings régionales.
En 2010, la société Novescia ambitionnait d’être le N°1 d’un secteur présenté comme un « el
dorado ». En réalité, le groupe s’est laissé dépassé par son endettement, en raison d’une mauvaise perception de la structure des coûts des laboratoires (charges en personnel supérieurs aux coûts analytiques: inflation des coûts de fonctionnement non répercutables sur les tarifs avec en parallèle une bulle spéculative autour des prix d’acquisition et par conséquent une tendance à la chute de la rentabilité).
Début 2015, Novescia sera racheté par Cerba à 11 X EBE (source). L’agence de notation Fitch s’inquiètera des « conséquences de l’opération pour le profil de crédit de Cerba » et placera « sa note B+ sous perspective négative avec son ratio de levier de 6.5« , craignant « la volonté du groupe de financer l’intégralité de la somme par de la dette supplémentaire, les cash flow couvrant moins de deux fois les intérêts« .
2. Cartographie des LBM en France
Data.gouv.fr a missionné Ekipaj en 2018 pour dresser une cartographie mise à jour périodiquement de l’état des lieux de la répartition des laboratoires sur le territoire par groupe d’appartenance.
En voici les données à la dernière mise à jour (décembre 2019).



Quelques constats :
- L’accélération de la consolidation au sein d’un paysage encore morcelé
La moitié de la biologie médicale n’appartient pas à un grand groupe. Néanmoins, 70% de l’offre relève de 12 grandes structures. Il y a encore 1 an, cela ne représentait que 57%.
- La financiarisation
- Environ 1/3 de l’offre de biologie médicale relève d’un groupe détenu par un fond en LBO
- Les laboratoires détenus ou adossés à des fonds financiers (Synlab, Cerballiance, Biogroup-LCD, Unilabs, Eurofins) sont relativement éparpillés sur le territoire avec des positions qui peuvent devenir dominantes dans certaines régions.
- Les indépendants au 1er rang
- Largement en tête en termes de nombre de LBM, de nombre de sites, de biologistes, le « groupe » LBI (les biologistes indépendants) rassemble près de 600 sites sous forme de coopérative ayant en commun une centrale d’achat et autres services supports mais sans lien capitalistique. Il représente un chiffre d’affaires consolidé de 810 Millions d’Euros. À tempérer par le fait que les laboratoires adhérents sont libres de vendre à tout moment à un autre groupe ou à un fond. Néanmoins, on assiste à une progression continue du nombre de structures adhérentes, ce qui n’est pas en faveur d’une perte de leadership.
- Inovie est le 1er groupe de laboratoire indépendant et libéral et pèse 10% en termes de volume des sites sur le territoire. Actuellement détenu par 360 biologistes, le groupe d’analyses médicales aux 495 M€ de chiffre d’affaires en 2018 se trouve actuellement au milieu du gué. N’envisageant tout d’abord pas de perdre son indépendance (source), le groupe vient néanmoins de confier un mandat stratégique à BNP Paribas, avec des rumeurs de valorisation à près de 1 milliard d’euros pour des sociétés de capital-investissement ou, moins probable, des acteurs de l’industrie de la santé. La décision est attendue courant 2020, non sans une certaine anxiété par la profession restée indépendante.
- Le nombre de biologiste rapporté au nombre de site donne objectivement l’avantage aux groupes non financiers en terme de ratio n biologiste / n site.
3. Historique et situation financière des principaux groupes de laboratoires
Aujourd’hui, les plus grands acteurs de la biologie financière en LBO sont Cerba Healthcare/Cerballiance, et Labco Synlab. Unilabs et Eurofins Biomnis, groupes côtés en Bourse, ont eu plus de difficulté à prendre des parts conséquentes de marché, ne pouvant lever autant de fonds via la dette.
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