VIII. Rachats d’entreprises en LBO : pour le meilleur ou pour le pire

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L’impact des LBO sur le risque de défaillances d’entreprises est controversé.

La théorie selon laquelle l’augmentation du risque de défaillance, proportionnelle au niveau d’endettement, serait atténuée par l’amélioration de la gouvernance et de la performance économique de l’entreprise, du moins à la phase du LBO primaire a fait l’objet de nombreux travaux d’écononomistes .

Dans une étude de 2014 conduite par deux universitaires BODU, Nicolas & PALARD, Jean-Etienne, « Le cas des entreprises françaises  », près d’une entreprise française sur dix rachetée par un fonds de Private Equity entre 2000 et 2007 a fait faillite dans les cinq ans qui ont suivi ce rachat, alors que ces entreprises (qui ont été appariées) ne présentaient pas d’indicateurs économiques dégradés avant l’élaboration du montage. Par ailleurs, le taux de défaillance a été positivement corrélé avec le niveau d’endettement post-acquisition et le niveau de la rentabilité économique (ROCE) avant et après le rachat en LBO. La réduction de l’investissement dans la période post LBO identifiée dans plusieurs études est également relevé comme un facteur de risque supplémentaire sur la performance de long terme de la société.

Sans surprise, d’autres études réalisées par l’Afic (Association Française du Capital Investissement) et le cabinet Ernst & Young (célèbre cabinet spécialisé en Audit, Conseil, Conseil en Transactions, et fiscalité), vantent au contraire les mérites du LBO en en faisant un vecteur de croissance incontestable des PME-ETI : amélioration des résultats opérationnels, soutien à la R&D, croissance des effectifs.

Il est par conséquent assez évident que les atouts du LBO en terme de création de valeur (croissance de l’EBITDA, effet-multiple, déleveraging) séduisent les pouvoirs publics dans le soutien qu’ils pensent apporter à la consolidation des entreprises et à travers elle à la croissance du pays.

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Afin d’appréhender plus empiriquement l’impact du LBO dans le devenir des entreprises l’intégrant dans leur stratégie de croissance et tenter d’extrapoler aux groupes nationaux de biologie médicale dans la même situation, intéressons nous aux LBO les plus importants réalisés sur des entreprises françaises depuis 10 ans ainsi qu’aux sociétés ayant connu par le passé des destins plus contrastés.

[LBO supérieurs à 400 millions d’euros en France depuis le 1er janvier 2010]

À noter parmi des sociétés commerciales pures, la présence de Cerba Healthcare pour 500 millions d’euros.

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1. L’exemple Picard

Picard

Au 1er rang, l’entreprise Picard,  1 100 magasins établis à travers le territoire, avec un chiffre d’affaire en 2018 de près de 1.5 milliard d’euros. Elle est le chef de file français dans ce secteur, contrôlant près de 20 % du marché en 2014.

En l’espace de 20 ans, le groupe a enchainé 3 LBO successifs. En 2001, Carrefour (79 % du capital) revend sa participation pour 920 millions d’euros, à un groupe d’investisseurs mené par le fonds anglais Candover et associé à la famille Decelle (qui possédait le reliquat de capital depuis 1973) et au management. En 2004, le fond BC Partners rachète l’entreprise pour 1,3 milliard d’euros (second LBO). En avril 2008, le PDG et successeur, Xavier Decelle, se fait évincer par l’actionnaire principal, BC Partners. Pour la première fois depuis 1973, la société n’est plus dirigée par un membre de la famille Decelle. L’actionnaire principal a rappelé l’ancien directeur général de la société, qui avait été licencié en juillet 2007, pour assurer une direction « d’intérim » dans l’attente du recrutement d’un nouveau président directeur général. En 2009, Philippe Pauze, ex-salarié du groupe Carrefour, est nommé président directeur général par le fond BC Partners. En 2010, le fonds britannique Lion Capital et BC Partners annoncent être en négociation pour la cession de Picard. Le montant de la transaction encore par LBO (le 3ème) serait évaluée à au moins 1,5 milliard d’euros. En 2015, Lion Capital céde 49% du capital de Picard à un industriel boulanger suisse Aryzta pour 446,6 millions d’euros. Picard Surgelés se réendette à hauteur de 790 millions d’euros, augmentant son endettement de 88 %, et affecte 602 millions au paiement d’un dividende à son actionnaire Lion Capital.  Arytza, en difficultés financières, envisage dès 2017 une cession de ses actifs dans Picard, et mandate la banque d’affaires Rothschild  pour réfléchir à des options stratégiques concernant l’avenir du groupe. Au terme de 3 longues années d’attente, le groupe familial Zouari, principal franchisé de Casino pour les enseignes Monoprix et Franprix, a fait officiellement l’acquisition de 43% du capital de l’enseigne de surgelés pour un montant de… 156 millions d’euros ! 

«La destruction de valeur en quatre ans est énorme, sans parler de l’accaparement de l’attention de la direction», analyse ainsi Jean-Philippe Bertschy de Vontobel. Une dette colossale que l’acquéreur a fait porter à l’entreprise, plombant pour de nombreuses années son bilan. L’expert salue néanmoins la fermeture de ce chapitre délicat, qui permet désormais à l’équipe exécutive de se concentrer sur la remise en forme de l’entreprise, les investissements stratégiques nécessaires pour accompagner la révolution digitale n’ayant pas été fait (source)

A lire :

La famille Zouari, invitée surprise aux commandes de Picard

 Comment les fonds d’investissement ont asphyxié Picard

2. L’exemple Sebia

Sebia

Plus proche de nous,  Sebia, l’un des principaux acteurs mondiaux du diagnostic in vitro pour l’oncologie et dans les troubles de l’hémoglobine et du métabolisme, a été vendue par Cinven en 2014, 4 ans après son acquisition, à Montagu Private Equity et Astorg Partners, ses anciens partenaires financiers en « Private Equity » européen. Montant de la transaction estimée à 1,2 milliard d’euros faisant gagner à Cinven 2.4 son investissement en capital initial (qui permettra à ce même fond de reprendre Labco puis Synlab en 2015…).  Sebia avait été acquise en 2001 par Astorg pour 70 millions d’euros et revendue à Montagu 5 ans plus tard pour 430 millions.

En 2010, Montagu avait revendu Sebia à Cinven 800 millions d’euros (dont plus de la moitié de fonds propres soit 480 millions, les leçons de la crise de 2008 ayant été tirées). À noter que les fonds Montagu et Astorg avaient conservé 15% de la PME, ce qui leur a permis de se repositionner sur ce 4e LBO. La banque Goldman Sachs s’est chargée de structurer la dette de l’opération. Vu l’excellent profil financier de la société, les banques entendaient éviter un recours à la dette mezzanine, la dette junior devant équilibrer le rapport dette/fonds propres. Sebia générant de part sa position incontestée de leader des flux de trésorerie très importants, il était un candidat de choix pour des LBO, plus de 90% de son Ebitda se retrouvant dans ses cash-flows. Ceci explique l’augmentation de sa valeur au fil des quatre LBO qu’elle a connus, alors qu’elle n’aurait généré un chiffre d’affaires que de 150 millions en 2013…

3. L’exemple Toys’R’us

Toys'R'Us

Intéressons-nous maintenant à un LBO nord-américain. Toys’R’us, la grande chaîne américaine de jouets, 1600 magasins dans le monde, a fait faillite en 2017 et a été placée sous la protection de la loi sur les faillites aux Etats-Unis, écrasée par une dette colossale. Depuis ses 3 LBO, elle avait à son passif un endettement de 7,5 milliards de dollars pour un CA de 6.5 milliards de dollars. En 2016, 99 % de son bénéfice a servi à payer les intérêts bancaires de ce prêt (source).

Le groupe a connu une longue descente aux enfers après son rachat par endettement (LBO) en 2005 par les fonds Bain capital et KKR.

Du fait de son impossibilité à investir pour se moderniser, les ventes ont fini par perdre du terrain face à ses concurrents. La filiale française a été finalement sauvés par la société Jellej (détenue à 10 % par Tony Lesaffre, issu d’une grande famille nordiste et principal franchisé Europcar de France, et à 90 % par le fonds américain Cyrus Capital, un créancier de Toys R Us dont le patron, Steven Freidheim, n’est autre que le gendre de Tony Lesaffre) et Picwic, le réseau nordiste de distribution de jouets, appartenant à la famille Mulliez (groupe Auchan). L’offre déposée par ces acteurs prévoyait de reprendre 44 magasins sur 53 et 1 036 des 1 167 salariés, de conserver le siège et l’entrepôt de Toys’R’Us, et de maintenir les emplois du siège et des magasins pendant vingt-quatre mois.

4. L’exemple groupe Vivarte

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Vivarte (anciennement Groupe André) est un groupe d’entreprises français, dont l’activité est la distribution de prêt-à-porter et de chaussures sous différentes marques.

Il y a peu de temps, le groupe Vivarte a fait la une de la presse en raison de son gigantesque plan de restructuration. Il a frôlé la disparition en 2017 et enchaîne depuis les plans de restructuration après avoir été racheté puis revendu en cascade par trois fonds d’investissement, jusqu’à accumuler une dette record de 2,8 milliards d’euros pour un chiffre d’affaires de 1,4 milliard d’euros en 2018.

En 2004, le groupe Vivarte est racheté à hauteur de 55 % par le fonds d’investissement PAI partners. En 2007, le fonds d’investissement britannique Charterhouse et d’autres acquéreurs minoritaires lui rachètent Vivarte, par une opération d’achat par LBO. Vivarte avec un CA de 3 milliards d’euros, est valorisé 4,2 milliards d’euros mais acheté avec 3,4 milliards de dettes.

Vivarte et ses enseignes s’engage après 2008 dans un vaste programme de repositionnement stratégique fondé sur la montée en gamme des marques. Ce plan ambitieux a un coût : 150 millions d’euros sur trois ans. Mais le développement de l’entreprise est contraint par l’important niveau d’endettement (le remboursement de la dette absorbe entre 20 et 40 % du résultat d’exploitation de l’entreprise). Dépourvu de solutions stratégiques viables – « ils se sont contentés d’ouvrir des magasins pour couvrir les pertes de chiffre d’affaires », commente un témoin -, le groupe voit ses résultats s’effondrer, jusqu’à devenir insuffisants ne serait-ce que pour servir la dette.

« Incapable de respecter ses engagements vis-à-vis de ses créanciers », Vivarte suspend en 2013 l’intégralité des paiements sur sa dette et la renégocie. Le groupe entreprend alors une restructuration financière de plus de deux milliards d’euros d’effacement et d’une réinjection de liquidités de 500 millions d’euros obtenus en quelques mois. Le groupe voit son nombre d’enseignes réduit de plus d’une centaine, les gammes écourtées, les budgets de publicité rabotés. En 2014, Vivarte trouve un accord avec douze prêteurs dont quatre entrent au conseil d’administration (Alcentra, Babson, Goldentree et Oacktree) pour restructurer sa dette. Le principal actionnaire avec prêt de deux tiers des parts, Charterhouse, se retire au profit des créanciers ; il a déjà perdu 500 millions d’euros au cours des années précédentes. Certains de ces créanciers, qualifiés de « fonds vautours », sont spécialisés dans le rachat de dettes décotées. Ils prennent la direction du groupe, transformant leurs créances en participations. Malgré cet effacement de dette et l’apport de cash, la stratégie de montée en gamme ne prend toujours pas : les investissements nécessaires perdurent alors que la chute des ventes et des marges continue. Plusieurs dirigeants sont débarqués (6 dirigeants en 4 ans). En 2015, Vivarte présente un plan social portant plus de 1 500 employés (sur 4 256) à La Halle aux Vêtements et sur la fermeture de plusieurs dizaines points de vente ;

En juin 2016, Vivarte met en vente Kookai, Chevignon et Pataugas. Vivarte saisit le Comité interministériel de restructuration industrielle afin d’obliger les banques créancières à revoir leurs dettes ou les échéances. L’État entre donc dans le dossier. À la même époque, Vivarte se voit placé une seconde fois sous procédure de mandat ad hoc en juillet. Parallèlement, une clause contractuelle des créanciers demande au groupe de plafonner ses investissements, sous peine de voir le coût de la dette s’accroître encore. Richard Simonin, aux commandes de 2014 à 2016, avouait lui-même le gel des investissements : « Certains projets étaient bons, mais cash is king. Il fallait d’abord protéger les liquidités pour assurer la marche des affaires. »

Arrive alors un nouveau PDG, spécialiste du retournement d’entreprises, affectueusement dénommé « le liquidateur ». L’entreprise supporte alors une dette de 1,5 milliard d’euros pour 2,2 milliards de chiffre d’affaires. En novembre 2016 et janvier 2017, les salariés qui redoutent le démantèlement du groupe pour rembourser les fonds, dont les taux d’intérêts se sont révélés croissants, manifestent devant le siège social et à Bercy.

En 2017, la mise en vente d’André et de Naf Naf est annoncée. André sera reprise par Spartoo en conservant la totalité des effectifs (700 personnes) et l’ensemble des magasins. Vivarte a payé huit millions d’euros pour vendre l’enseigne de chaussures chroniquement déficitaire depuis des années. La même semaine, Naf Naf sera vendu au groupe chinois La Chapelle Fashion CO.

En 2018, « la dégradation du marché de la chaussure ayant été plus forte qu’anticipé », le groupe annonce la mise en vente de Minelli, San Marina et CosmoParis.

En 2019, le groupe annonce aux salariés que celui-ci ne sera pas en mesure de rembourser ses dettes. L’écrasement intégral de la dette est donc conclue grâce à l’activation du mécanisme de fiducie (transfert de propriété par conversion des 477 millions d’euros de dettes financières résiduelles en actions). La société passe aux mains des créanciers, qui deviennent actionnaires.

En dépit du surendettement de l’entreprise, une poignée de hauts cadres de la filiale Vivarte Services a touché près d’un million d’euros en primes exceptionnelles accordées au titre de 2017 et 2018, alors que le groupe est littéralement vendu « à la découpe » avec un enchainement ininterrompu de plans de restructuration et de licenciements économiques pour les salariés.

Au total, 3,3 milliards d’euros de dettes auront ainsi été effacés en cinq ans.

« L’erreur d’appréciation fut de greffer un LBO à une entreprise dont le secteur d’activité est cyclique, mettant d’emblée en péril la capacité de remboursement », analyse Patrick Daguet, professeur en finance à l’Ieseg School of Management. Plus simplement, le business plan basé sur une dette trop importante a à jamais  grévé le développement du groupe : trop de charges à rembourser et pas assez d’investissements.

Article détaillé sur WIKIPEDIA.

5. L’exemple SoLocal (ex-Pages jaunes)

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Les mêmes causes ont produit les mêmes effets chez SoLocal (ex-Pages jaunes) qui a généré en 2015 un chiffre d’affaires de 873 M€, et se débat à présent avec une dette supérieure à 1 Md€ — héritage d’une opération de LBO initiée en 2006. A l’époque, la société valait 6 Mds€ en Bourse, mais l’opération de LBO l’a complétement écrasée sous le poids de la dette et, coincée entre un effondrement du marché des annuaires papiers et des versements généreux de dividendes alors que l’activité plongeait, le groupe est à la peine : il pèse désormais moins de 250 M€… Seule issue, un projet de restructuration financière en 2016 visant à réduire sa dette brute des deux tiers, sa dette financière serait réduite à 400 millions d’euros, abaissant le levier financier du groupe de 4,2 à 1,5Parallèlement, les fonds propres du groupe seraient renforcés via une augmentation du capital avec maintien du droit préférentiel de souscription (DPS) des actionnaires.


Thomas Durand, SoLocal – Quand les LBO laissent la cible exsangue

 

4. L’exemple de Camaieu (maj 09/2022)

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Elue première chaîne française en matière d’habillement féminin en 2008 et ayant connu un succès fulgurant, Camaieu a été placée en liquidation judiciaire en septembre 2022;

Son histoire peut se résumer ainsi : créé en 1984, ses fondateurs ont cédé leurs parts en 2005 au fonds d’investissement la Financière Addax (Axa Private Equity) (voir le résumé de l’opération ici), puis au fonds Cinven en 2007, valorisant ainsi Camaïeu dans un LBO à 1,6 milliard d’euros. Les investisseurs attendaient un rendement interne de 10 %, contre 4 % au moment de la valorisation, grâce à une développement à l’international. L’échec du processus de désendettement (1 milliard pour 750 millions de CA annuel et 85 millions d’EBE en 2016) finit par entrainer en 2018 la mise sous sauvegarde par le tribunal de commerce de Lille de la société Modacin, holding financière de l’enseigne. Selon l’enseigne, si son chiffre d’affaires s’est replié (718 millions d’euros en 2017, contre 736 millions d’euros en 2016), la rentabilité a progressé mais « l’argent que gagne Camaïeu ne sert qu’à rembourser les intérêts de la dette ». L’enseigne souffre du LBO antérieur, effectué alors que le marché de l’habillement est en perte de vitesse depuis 2008 et par conséquent fortement contraint et concurrentiel. Cette procédure aboutit à une convertibilité de sa dette en capital au profit des créanciers séniors (les américains Farallon, Carval et l’européen CVC) en 2018. Ces derniers n’apporteront que 35 à 45 millions d’euros en capital à l’enseigne pour la relancer.

En , en raison de l’impact de la crise liée au Covid-19 et malgré la fermeture de 800 magasins à travers le monde, la société est néanmoins placée en redressement judiciaire. L’enseigne a perdu 95 % de son chiffre d’affaires entre mars et , soit un manque à gagner de 162 millions d’euros. La justice confie les rênes à Michal Ohayon, un homme d’affaires qui dirige la Financière immobilière bordelaise. Sa filiale Hermione people and brands possède La Grande Récré, Go sport, Gap France et plusieurs galeries Lafayette. Plombée par une dette abyssale (240 M€), fragilisée par la crise sanitaire, une cyberattaque de grande ampleur (40 M€), mais aussi l’augmentation du prix des matières premières, l’enseigne subissait aussi, selon son actionnaire, « les conséquences » d’un arrêt de la Cour de cassation contraignant les commerces dits non-essentiels qui avaient dû fermer lors du premier confinement à payer leurs loyers  (70 millions d’impayés). Mais les pertes d’exploitation ont atteint 93 millions pour 333 millions de chiffre d’affaires sur la période de seize mois depuis la reprise. Parallèlement, en , Camaïeu International est accusé de vider les caisses des filiales belges, luxembourgeoises et suisses afin de pouvoir les déclarer en faillite ; cette « faillite organisée » permet d’éviter de lancer un plan couteux de licenciements et de leverager les bénéfices.

En , Camaïeu est  mis en redressement judiciaire par le tribunal de commerce de Lille.

L’actionnaire a sollicité les services du Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) pour obtenir un prêt de 48 millions d’euros auprès de l’Etat. D’après les services du CIRI, l’actionnaire de Camaïeu promet d’apporter « 5 millions d’euros » et d’obtenir « 14 millions d’euros de la vente d’actifs immobiliers à Roubaix », siège de l’entreprise, pour financer son plan de relance.

Bercy n’a pas jugé réaliste la demande de l’actionnaire de prendre en charge plus des deux tiers de l’apport nécessaire au financement du plan de reprise, en plus de l’abandon de ses dettes publiques existantes. Si l’Etat « doit bien entendu faire le maximum pour préserver l’emploi et l’activité », il ne peut « en aucun cas se substituer aux actionnaires privés », en rappelant que « plus de 40 millions d’euros d’aides ont déjà été apportés à l’entreprise depuis le début de la crise du Covid ». Le projet de reprise communiqué « consistait pour l’Etat a abandonner 20 millions de passif, avec en plus 48 millions de prêt direct (…) tout cela avec un apport en liquidité de 5 millions de la part de l’actionnaire« , a affirmé M. Lescure, fustigeant « une offre extrêmement déséquilibrée ».

Fin de partie donc pour Camaieu dont le modèle LBO n’aura pas résisté à la terrible décennie qui a vu le marché du textile et de l’habillement dégringoler avec 15 % de baisse globale du chiffre d’affaires. L’enseigne de prêt-à porter nordiste a été mise en liquidation ce 28 septembre 2022, entrainant la fermeture de 512 magasins et le licenciement de 2600 salariés une issue qu’a regrettée le gouvernement, mettant en cause l’actionnaire.

Voir également

Camaïeu, La Halle, André… Ces entreprises tuées par la dette

 

5. Les laboratoires de biologie médicale (chiffre 2018)

Actuellement, les laboratoires financiers sous LBO (Cerballiance, Synlab, ou LCD Biogroup) rencontrent des niveaux d’endettement comparable.

Le groupe Cerba détiendrait pour 1,5 milliard de dettes totales avec un ratio de levier de dette de 6,5.

le groupe Synlab/Lacbo détiendrait pour 2,5 milliards de dettes totales pour un chiffre d’affaires annuel totalisant 1,9 milliard d’euros. Son ratio de levier de dette s’élèverait à 6.4.

La dette totale brute de Biogroup-LCD  s’élèverait à 1 milliard d’euros rapporté à un CA de 600 millions d’euros pour un ratio de levier non connu (ratio « brut » s’établissant à 7.7).

Et les rachats se poursuivent…

Mais il n’est ici pas question de poissons surgelés ou de jouets pour enfants. Il s’agit bien de 60% de l’offre de biologie médicale privée. De quoi donner des sueurs froides avenue Duquesne, pour qui la biologie médicale n’a jamais été un vrai enjeu sanitaire au delà de la variable d’ajustement de leurs déficits budgétaires.

Ces inquiétantes données économiques seraient elles passées sous les radars de la DREES, si dévouée à la bonne gestion des ressources en matière de dépense de santé. Dans son dernier rapport (panorama des dépenses de santé 2019)  rien sur l’endettement des laboratoires de biologie médicale. A peine peut-on laconiquement y lire que la consolidation se poursuit. En revanche, la situation économique et financière des cliniques privées à but lucratif et leur niveau d’endettement y sont précisés page 70. Malheureusement, étant donné que le calcul est réalisé sur un échantillon probablement non représentatif (738 cliniques privées sur 1000), il peut ne pas tenir compte de l’endettement des groupes de cliniques rachetées par LBO (Elsan, Générale de Santé), autre sujet d’intérêt qui sera traité ultérieurement.

Difficultés de la surveillance du ratio d’endettement /capitaux propres

Les bilans publiés des entreprises sous LBO sont la plupart du temps ceux des filiales. C’est la holding mère qui porte la dette et les cibles n’en ont généralement pas (sauf procédé « debt push down », voir ci dessous), même si elles en supporteront bien évidemment les conséquences économiques. Si les cibles ont contracté antérieurement d’autres dettes, celles-ci seront refinancées par la holding au moment de l’opération afin que soient substitués de nouveaux emprunts à de nouvelles conditions aux emprunts actuels de la cible. Avec éventuellement des taux d’intérêt plus élevés ou variables si les établissements bancaires considèrent l’opération risquée (se référer aux explications sur les emprunts de type loan B dans l’article IV).

Au cours de la vie du LBO, il est fréquent que les acquéreurs décident de ré-endetter ou « releverager »  la structure  en contractant une dette au niveau de la cible dont le seul but est de financer un dividende exceptionnel ou d’une réduction de capital au profit des actionnaires de la holding ; cette technique est appelée la technique de debt push-down (littéralement « faire descendre la dette de la Holding au niveau de la société opérationnelle ») que la société filiale finance par son endettement, ce qui est extrêmement dangereux du fait du risque de liquidation des cibles.

Ceci explique pourquoi les structures cibles devant également parallèlement faire remonter tous leurs bénéfices au sein de la Holding, ont des bilans financiers parfois catastrophiques lorsqu’ils sont à distance de leur levée de fond. Avec une rentabilité d’apparence préservée suivant les règles de comptabilité explosées dans le tableau de simulation ci-dessous. Voila sans doute pourquoi N. Revel (et ses successeurs) faisait état de niveaux de rentabilité exceptionnel au sein de grands groupes l’autorisant à tailler dans la NABM sans scrupules…

tableau VIII

Autre difficulté, du fait du financement extra-bilanciel des LBO, le législateur et les instruments de statistique nationale ne peuvent pas évaluer avec précision la situation réelle des multiples d’endettement des entreprises par rapport à leurs résultats publiés. En effet, cette dette s’apparente à du capital et est donc intégrée aux fonds propres. C’est lorsque ce capital est épuisé que la vraie situation financière de l’entreprise transparaît.

Les données Plimsoll produites sur le secteur des laboratoires de biologie médicale en 2018 attribuent une note relative à la santé financière sur un échantillon des 300 plus grandes SELs de LBM d’après  les bilans comptables déposés sur les 3 dernières années. Cette note combine et pondère les indicateurs de stabilité d’exploitation, de rentabilité, de fonds de roulement, de ratio d’endettement et de liquidité immédiate. La croissance des ventes tous types de laboratoires confondus étant comparable. Sur les 300 premières plus grandes structures analysées, des résultats surprenants sont observés : 30% sont notées en danger et 30% sont notées fortes.

Si l’on se focalise sur les 23 SEL Synlab France présentes dans le classement, près de 80% sont notées « préoccupante ou danger » pour un CA total de l’échantillon avoisinant les 284 millions d’euros (sur les 500 millions de CA annuel estimé pour Synlab Labco).

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L’ensemble de ces élément pose évidemment plusieurs problématiques majeures

  • Un endettement croissant des holding capitalistiques de LBM avec des emprunts de plus en plus toxiques et une véritable fuite en avant avec enchaînement des LBO pour soutenir la croissance externe (i.e rachat de nouvelles sociétés) avec le risque permanent d’une hausse des taux pouvant alourdir le service de leur dette
  • Une consolidation difficile, du fait du maintien de la concurrence des laboratoires indépendants (fermeture de sites, allongement des délais, etc…)
  • Le maintien d’une réglementation jugée trop contraignante d’où l’auto saisine de l’Autorité de la Concurrence et son rapport publié en 2018 (voir cet article) visant à assouplir la législation « afin de libérer la croissance ».
  • Présence d’une bulle spéculative due à l’exubérance des capitaux affluant dans leurs fonds  conjuguée à la relative rareté des biens malgré l’intensive prospection commerciale des fonds auprès des biologistes indépendants, ayant pour conséquence de faire monter les prix à 2 ou 3 fois les valeurs réelles des sociétés

Les laboratoires indépendants, dont la santé financière est pourtant meilleure, subissent également les conséquences de cette situation en lien avec la problématique de la valorisation des parts des biologistes sortants avec mise en concurrence entre le prix « Private Equity » et le prix de valorisation normale (80-120% du CA).

Dans cette seconde phase de consolidation, le choix qui s’offre à eux est kafkaïen : faire entrer un fond à leur capital, se vendre à une structure de grande envergure, mais très endettée (sans que cette donnée soit réellement connue d’ailleurs) ou convaincre leurs associés de partir en acceptant un prix de part correspondant à la réalité économique afin de ne pas mettre en danger la survie de l’entreprise.

Les facteurs de déstabilisation, à commencer par les structures les plus fragiles sur le plan financier sont les suivants :

  • Pression tarifaire  : en cas de nouvelles baisses de cotation des examens de biologie médicale, la rentabilité sera affectée de plusieurs points
    • La France dans le groupe international de Synlab représente 23% du CA mais tous les ans depuis 10 ans, 85% des baisses tarifaires…
  • Perte de parts de marché (arrêt de l’investissement productif, baisse trop importante de la masse salariale, fermeture de sites, grève du personnel…)
  • Remontée des taux d’intérêt dans un contexte d’absence de reprise économique avec montée de l’inflation, dégonflement des prix des cibles d’acquisition et vente à tout prix des actifs détenus par les fonds de Private Equity comme vu précédemment…

Conclusion

L’objet de ce nouvel article n’est en aucun cas de faire le procès du Private Equity et son activité de LBO. Sans nul doute, il représente un soutien économique fondamental pour certaines entreprises. Utilisé dans des proportions raisonnées et non spéculatives, il a permis l’innovation, la création d’emploi, le développement interne ou à l’international d’un grand nombre d’entreprises, mais aussi la reprise d’entreprises ou leur transmission patrimoniale ou interprofessionnelle (via notamment les SPFPL).

Il apparaît cependant évident que son utilisation dévoyée dans un contexte concurrentiel, un blocage des prix (la NABM), la survalorisation des entreprises cibles et la reconduction successive d’effets de levier déraisonnés, peut conduire mécaniquement à un endettement massif de groupes d’envergure, avec des perspectives de croissance parfaitement irréaliste. La rentabilité réelle devient progressivement insuffisante et les bénéfices des groupes sont de plus en plus exclusivement réaffectés au remboursement de la dette, au dépens de la capacité d’investissement. Il constitue par conséquent un outil risqué de concentration.

Les taux d’intérêts bas et la relative bonne santé des sous-jacents maintiennent pour l’instant l’équilibre. Néanmoins, de la même manière que les lois de la physique provoquent l’explosion d’une bulle trop importante et/ou subissant trop de pression extérieure, les conditions économiques de stagnation ou récession économique dans un contexte de remontée des taux d’intérêt ou de crise financière peuvent entrainer l’éclatement de la bulle, immédiatement suivie d’une chute spectaculaire du prix des actifs, avec un passif toxique, les emprunts dépassant largement la valeur réelle de ces biens revenue à la normale.

En somme, tant que le cash flow tombe, le montage financier peut fonctionner. En cas de retournement, c’est a contrario un risque de faillite proportionnellement démultiplié.

Sans surprise, les LBO en difficultés sont souvent la conséquence directe d’une bulle de valorisation sur le marché. La période d’avant 2008 est un bon exemple avec des valorisations de sociétés élevées qui entraînent des leviers bancaires élevés (pour préserver le TRI de l’investisseur financier) et donc des montants annuels de service de la dette trop élevés au regard de la rentabilité des sociétés cibles.

Aussi politique que le sujet puisse être, notre éthique de professionnels de santé ne peut être que destabilisée par l’enjeu de cette transformation économique. La Santé, ce bien public essentiel, peut-il être soumis à de tels risques de marché dans l’unique but d’une recherche de rémunération optimale du capital financier mondialisé ? Qui plus est captée sur un financement issu des revenus d’impôts et de cotisations sociales dont on sait l’équilibre fragile et l’arbitrage de plus en plus complexe  ?

Durant la campagne présidentielle de 2012, François Hollande avait déclaré vouloir encadrer la procédure LBO. En visite, le 18 avril 2012, à l’usine Still-Saxtby, une entreprise en LBO dans l’Oise, où 255 salariés sont menacés de perdre leur emploi, il considérait que « le législateur devra revenir sur cette procédure de façon à le réserver exclusivement aux salariés et aux cadres d’une entreprise, et pas à des groupes financier qui viennent prendre la substance d’une entreprise et la vendre après ». Au cours de son mandat, jamais les modalités de cette réforme n’auront été précisées.

Lors de la réforme de la biologie médicale de 2010, l’exécutif caressait le secret espoir de consolider suffisamment la biologie médicale pour n’avoir in fine à négocier qu’avec 3 ou 4 gros acteurs dont la rhétorique industrielle autoriserait la division de la tarification des actes par 2, à qualité et service égaux. Ils sont à présent pris à leur propre piège et semblent résolus à lâcher un peu de lest, afin de maintenir sous perfusion l’offre considérable de biologie médicale à présent détenue par le capital investissement.

Dans le prochain article, nous aborderons les différentes issues possibles de sortie de LBO pour les laboratoires de biologie médicale.

 

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