Bien que le sujet soit assez complexe, le plus souvent réservé aux initiés à la finance d’entreprise, l’objet de nouvel article, fondamental, est de comprendre les grands principes de la structuration de la dette par les fonds de Private Equity et sur laquelle repose le rachat d’entreprises, dans le cas présent, de laboratoires de biologie médicale, par LBO.
La montée en puissance des préteurs non bancaires a eu un impact profond sur la structuration des montages, avec une multiplication des nouveaux instruments de la dette (dette senior in fine, dette subordonnée), et un recours croissant aux prêts à clauses allégées (dit Cov-lite) afin d’optimiser et d’accroitre les montants de capital levés.
Un montage typique repose sur une dette à 3 étages :
- une dette senior bénéficiant de garanties et qui sera remboursée en priorité
- une dette subordonnée ou dette junior qui peut prendre la forme d’un financement mezzanine ou d’un emprunt obligataire à haut rendement (high yield) dont le remboursement intervient après celui de la dette senior,
- et enfin, en dernier lieu, les capitaux propres.
Dans une opération de LBO classique, trois types d’intervenants sont généralement présents :
- Des actionnaires aussi appelés sponsors qui apportent des capitaux propres aussi appelés « Equity »
- Des prêteurs seniors c’est-à-dire des banquiers spécialisés en financements structurés
- Des mezzaneurs apporteurs de quasi fonds propres en dette mezzanine (obligations convertibles, obligations à bons de souscription d’actions, dette subordonnée …)
Les rendements offerts varient en fonction de la séniorité de la dette, c’est-à-dire du niveau de priorité de l’investisseur en cas de liquidation de la société.
1. La dette senior
La dette senior, en général la plus utilisée dans les rachats par LBO, correspond à l’emprunt bancaire. Celui-ci est contracté avec une ou plusieurs banques, selon l’ampleur du projet. Après analyse du risque par les banques, celles-ci financent à hauteur de 3 à 5 fois l’excédent brut d’exploitation de la cible (EBE). Elle est qualifiée de senior du fait de sa priorité de remboursement.
Elle constitue en règle générale la source majeure de l’endettement dans le cadre des LBO (environ 50% de l’endettement).
La dette peut être soit unitranche, rassemblant sous un seul instrument les financements, soit répartie en plusieurs tranches qui se distinguent par leur maturité (terme de remboursement in fine), de la moins risquée (tranche A) à la plus risquée (tranche C), avec un taux différentié suivant ce risque :
- Une Tranche A souvent courte et amortissable, remboursée linéairement en 6-7 ans avec un intérêt servi Libor +4% à 6%
- Une Tranche B et C : plus longue, remboursée in fine, respectivement au bout de 7-8 ans et 8-9 ans avec un intérêt servi Libor +6% à 10%
La dette senior est toujours assortie de garanties sur les titres de la cible, et de covenants, sauf quand elle est qualifiée de cov-lite ou covenant light.
La proportion de prêts aux clauses allégées (cov light) est en constante augmentation en Europe et aux États-Unis, révélateur du déséquilibre entre emprunteurs (peu nombreux) et investisseurs (très nombreux).
Focus sur les prêts Cov-lite (ou « pacte allégé ») :
Également appelé « prêts conventionnels », il s’agit de prêts plus risqués pour les prêteurs, car ne contenant pas les pactes de protection habituels (déclaration et maintien dans le temps des ratios prêt / valeur, ratio et EBITDA, pas de possibilité d’intervention sur le débiteur en cas de détérioration de la situation financière de l’emprunteur ou de la valeur des actifs sous-jacents). On constate un regain d’utilisation depuis 2013 par les sociétés de capital investissement du fait de la diminution des possibilités de prêts bancaires traditionnels aux entreprises et de la concurrence de rachat de dette par les fonds de placement dû à l’excès de liquidité. Il bénéficie d’une certaine sécurité pour les investisseurs car le risque financier encouru est en pratique dispersé (ou titrisé, nous y reviendrons) par le transfert de l’exposition sur le marché des dérivés de crédit (CDO). Il s’agit d’un outil considéré comme un potentiel amplificateur de défaillance financière, puisqu’il s’agit de prêts « aveugles », pour lesquels le niveau de risque encouru n’est pas précisément déterminé. En 2018, le pourcentage de prêts conventionnels sur l’encours de prêts à effet de levier sur les marchés européens ont atteint 78%, contre moins de 10% en 2013. On estime aujourd’hui qu’un tiers des encours de prêts LBO serait titrisé (contre 80% des crédits subprimes en 2007).
«La santé s’applique assez bien aux structures ‘cov-lite’. Elle présente moins de volatilité en termes de rentabilité et de revenus. C’est en outre un secteur réglementé, qui peut apporter une certaine sécurité aux investisseurs. Même si la rentabilité faiblit, c’est du sûr, c’est un placement peu risqué et ça permet de réguler les risques qu’on peut prendre ailleurs » (source : un conseiller en transaction en 2014).
« Biogroup, Cerba, Arkopharma, Foncia, Assystem Technologies, Parex… Affichant un profil high yield (BB+ et moins), ces groupes présentent un point commun : le fait d’avoir refinancé au cours des derniers mois leur dette sous la forme d’un «term loan B» (TLB). L’engouement pour ce produit, qui correspond à une tranche B de dette senior, remboursable in fine, dépasse les frontières françaises. (Cyril Kammoun, responsable investissement Degroof Peterkam, source)
Focus sur le système de notation de crédit suivant Standard & Poor’s,
AAA est la note de crédit la plus haute et D et la plus basse.
– Les obligations notées AAA, AA, A et BBB sont considérées comme des obligations de bonne qualité (« investment-grade ») : elles sont jugées relativement à l’abri d’un risque de défaut.
– Les obligations notées BB ou au-dessous (y compris B, CCC, CC et C) sont considérées comme des investissements plus risqués et à haut rendement, parce qu’elles présentent des caractéristiques spéculatives et ne sont pas à l’abri d’un défaut de paiement.
– Des obligations notées D sont déjà en situation de défaut de paiement.
Les notations se voient modifiées en y associant un plus (+) ou un moins (–) afin d’établir une distinction relative au sein de chaque catégorie.
Dans certains cas, il convient de faire appel à d’autres types de dettes, notamment pour avoir la capacité financière de réaliser de nouvelles opérations de croissance externe. Bien que cela s’intègre pleinement dans le projet de développement de l’entreprise, la réalisation de telles opérations, lorsque l’entreprise supporte déjà le remboursement de la dette senior, nécessite le recours à la dette subordonnée.
2. La dette subordonnée
Le remboursement de ce type de dette n’est assuré que si la dette senior a été elle-même remboursée (d’où le terme de subordination).
Elle peut prendre deux formes principales :
- la forme d’une dette obligataire à haut rendement (high yield)
Il s’agit d’une émission d’obligations cotées à haut rendement (taux d’intérêt supérieur au taux sans risque) afin de financer les LBO les plus importants, souvent utilisées par les structures emprunteuses affichant un profil inférieur à BB+ c’est-à-dire « profil risqué » (source). Ce financement présente l’avantage de n’être remboursable que in fine après une durée de 8 à 10 ans.
- la forme de bons de souscription (dette mezzanine)
Il s’agit d’un financement hybride entre dette senior et fonds propres. La dette mezzanine prend souvent la forme d’obligations convertibles (OC) ou d’obligations adossées à des bons de souscription d’action (OBSA) qui permettent aux prêteurs d’accéder à terme à une partie du capital de la société. Les sommes débloquées dans le cadre de la dette mezzanine doivent permettre d’atteindre, en prenant en compte la dette senior, un endettement total généralement égal à environ 4 à 7 fois l’EBE.
Compte tenu du risque pris, les investisseurs en dette mezzanine (les «mezzaneurs») exigeront non seulement une rentabilité élevée (Libor +10% à 15%), mais aussi un droit de regard sur la gestion, en étant représenté au conseil d’administration des entreprises cibles. Cela signifie que, outre le remboursement des intérêts élevés, le mezzaneur rentabilise réellement son investissement au moment de la transformation des bons de souscription en action, et à celui de leur revente. Les plus values peuvent alors être particulièrement conséquentes.
La rentabilité obtenue sur les dettes mezzanines est basée sur un taux d’intérêt faible (5 à 6%) payé « cash » chaque année doublé d’un intérêt capitalisé (PIK pour Pay In Kind) compris entre 5 et 8%, parfois une participation éventuelle à la plus-value.
Le financement par dettes subordonnées permet :
▪ de profiter de l’effet de levier au-delà de ce que les banques acceptent de prêter ;
▪ d’avoir un endettement sur une durée plus longue que les crédits classiques, en acceptant un taux d’intérêt supérieur ;
▪ de bénéficier d’une plus grande souplesse dans la remontée des flux de trésorerie de la cible vers la société holding ;
▪ de mettre en place une opération qu’il n’aurait pas été possible de monter avec seulement des capitaux propres et des dettes seniors, voire même de remplacer la dette senior (mezzanine dite unirate).
Enfin, cette dette s’apparente à des fonds propres dans le fait que son échéancier (tant en intérêts qu’en principal) est donné à titre indicatif et n’a pas de caractère obligatoire. La société n’est pas tenue de le respecter (seule sa situation de trésorerie dicte sa conduite à cet égard) sans que ce non-respect entraîne un défaut.
Des financements complémentaires peuvent enfin être mis en place au niveau de la société cible notamment afin de financer les besoins en fonds de roulement de cette cible voire d’investissement ponctuel.
On y trouve :
- La ligne de crédit revolving et le crédit de TVA destinés aux financements du BFR (besoins en fonds de roulement) ;
- La facilité d’acquisition qui comme son nom l’indique participe au financement de l’acquisition lorsque la charge de cette dernière est portée par la cible ;
- La facilité d’investissement destinée à financer un programme d’investissements préalablement identifié au niveau de la cible au moment de l’acquisition.
Le prochain article sera encore également assez technique et portera sur les niveaux de valorisation des entreprises cibles, ainsi que des ratios de levier.
2 commentaires sur “IV. Structuration de la dette des montages LBO”