Les laboratoires de biologie médicale étaient ressortis profondément traumatisés par les évènements de 2022, vivant le couperet de la loi de financement de la Sécurité Sociale pour 2023 comme une profonde injustice après deux années éprouvantes de crise Covid. Les 250 millions de baisse, traduits par une révision de NABM et une baisse du B généralisée effective depuis avril 2023, viennent de plus s’inscrire dans un double contexte défavorable d’inflation durable et de remontée des taux d’intérêt.

Alors que la CNAM était mis en difficulté dans ses négociations avec de nombreuses professions libérales de santé, notamment les médecins, un nouvel accord triennal prix/volume qualifié de « surprise » a été signé le 27 juillet 2023 avec les syndicats représentatifs.

Très éloigné des revendications initiales souhaitant un partage plus équitable de la croissance des volumes d’acte avec l’Assurance Maladie, ce nouvel accord est assez proche des précédentes moutures. L’année de référence de l’accord sera 2024 sur la base d’une enveloppe de dépenses de biologie de 3 769 millions d’euros (à comparer avec les 3751 millions d’euros de 2019 !). Une augmentation de 0,4% par an en 2024, 2025 et 2026 de l’enveloppe des dépenses de biologie avec un ONDAM naturel de 3% (l’Assurance Maladie proposait initialement +0%…).

Nouveauté : une enveloppe supplémentaire de 150 millions sur trois ans pour l’intégration d’actes innovants (dont des actes actuellement au RIHN), qui devrait surtout bénéficier aux plus grands groupes.

Autres éléments :

  • Les EBMD (examens de biologie médicale délocalisée) ne sont pas inclus dans cette enveloppe.
  • Le travail sur la maîtrise médicalisée et la pertinence des actes est relancé avec la création d’une commission intégrant les prescripteurs et la volonté d’actions concrètes sur le terrain. Une enveloppe de 20 millions d’euros de maîtrise médicalisée sera à réaliser en 2024, plus 10 millions d’euros en 2025 et 10 millions d’euros en 2026. Si l’objectif n’est pas atteint, 70% de cette enveloppe sera à la charge de la profession. Dans le cas contraire, l’ensemble de l’enveloppe sera à la charge de l’Assurance maladie.
  • En cas de “choc exogène“, c’est-à-dire augmentation majeure des volumes de certains actes suite à un accident du marché du médicament par exemple, la sécurité sociale prendra en charge 2/3 des dépenses supplémentaire.
  • Dans la même logique, si une « clause santé publique » aboutissait une augmentation majeure de certains actes, ceux-ci seraient aux aussi répartis en 2/3 pour la sécurité sociale et 1/3 pour le secteur. Les dépenses liées à la Covid-19 sont définitivement sorties de l’enveloppe de la biologie médicale

Mais il est intéressant de revenir sur les évènements ayant encadré les négociations.

Redoutant une nouvelle grève dure des laboratoires, Bercy et la CNAM avait préparé l’artillerie lourde.

D’abord, Gabriel Attal, l’ex ministre des Comptes Publics avait préparé le terrain dès le mois d’avril dernier, alors que le volume de tests PCR était en train de s’effondrer.

« Clairement, l’objectif n’est pas de faire des économies sur l’hôpital mais il y a peut-être d’autres leviers pour le ministère de la Santé, comme le secteur de la biologie médicale qui a vu ses marges augmenter grâce aux tests anti-Covid » (BFM).

Ensuite, dans un entretien accordé au journal « Les Echos », le directeur de l’Assurance Maladie révélait début juillet « comment certains groupes avaient procédé à un chantage au gouvernement et menacé de fermer des sites de prélèvement peu rentables en réponse à une baisse trop importante des tarifs ».

Puis, à l’étonnement général, une transition vers « les dangers de la financiarisation du secteur de la Santé ».

Avec une longue interview sur le plateau de RMC matin

Thomas Fatôme y explique calmement cette « tendance de fond qu’est la financiarisation de la santé, difficile à mesurer, complexe à réguler et aux conséquences incertaines »

« Ces investisseurs vont prendre des parts et progressivement le contrôle. Il faut mieux réguler ce phénomène et mieux l’observer. Il faut mettre en place un observatoire, vérifier qui est propriétaire de l’offre de soin, disposer d’éléments précis concernant les structures juridiques et capitalistiques des groupes de société parfois très complexes. Il faut mettre tout le monde autour de la table. Il faut qu’ensemble on mette un certain nombre de verrous. On a cependant besoin d’une diversité d’acteurs. C’est de la complémentarité et un peu de concurrence, mais il faut mettre des règles du jeu. »

Cela frôle le pur génie. Le directeur de la CNAM a tout simplement usé du « Name and Shame », très efficace sur les groupes privés, dont l’image ne peut souffrir d’une perte de légitimité ou d’un début de remise en question.

Côté syndical, peu de résistance, il faut dire que le numéro d’équilibriste entre fermeté et la nécessité de maintenir des relations de bonne entente avec les représentants politiques laisse finalement peu de marge de manœuvre.

Voici donc comment l’accord triennal fut signé.

Débat sur la financiarisation : sincère ou opportuniste ?

Le  charges et produits de la CNAM 2023, y consacre un chapitre entier, qui, grâce au travail d’un an de la CNAM, n’est plus un « mot-valise », comme se plaisait encore à le dire récemment la directrice adjointe de la CNAM Marguerite Cazeneuve sur LinkedIn, mais comme un « transfert de propriété de l’offre de soins privée des acteurs professionnels vers des acteurs financiers, avec comme finalité première de rémunérer le capital investi ».

Outre une jolie contradiction entre la page 200 et 205 où on ne comprend finalement pas très bien si la politique publique regrette ou non la financiarisation de la biologie (question qui n’est peut être pas encore tranchée), le rapport revient longuement sur le secteur de la biologie médicale privée extrêmement concentré, avec 6 premiers groupes représentant plus de 60 % de l’offre privée.

« La crise Covid-19 est arrivée comme une aubaine financière inespérée […]. Les premiers investisseurs sont sortis sur des valorisations historiques. Le marché s’est emballé, indépendamment du risque de remontée des taux, de l’inflation, et d’une éventuelle régulation tarifaire. La déconnexion entre les valeurs du marché des groupes et leur valeur réelle, associée à un taux d’endettement très important, fait craindre le risque d’un éclatement de ce qui s’apparente à une bulle spéculative ».

Le rapport rappelle ensuite la grande profitabilité et les taux de marge élevés dans le secteur de la biologie médicale y compris avant l’ère Covid (toute relative néanmoins comparé à d’autres secteurs, y compris actuels comme l’énergie ou l’agro-alimentaire), et finalement peu affectés par la très dynamique régulation prix/volume imposée. Quel talent !

Extrait Charges et Produit 2023

Des chiffres cependant de 1 à 2% plus élevés que ceux calculés par XERFI en 2021.

Cash back sur les EBE

En juillet 2022, la synthèse du rapport de propositions pour l’Assurance Maladie avait avancé également les mêmes chiffres avec une certaine audace dans leur interprétation.

Page 11 « Depuis 2016, la rentabilité des laboratoires de biologie médicale, définie comme le rapport entre l’excédent brut d’exploitation et le chiffre d’affaires des laboratoires, a crû constamment avec une hausse de plus de 30 % de celle-ci entre 2016 et 2020 sous l’effet d’une concentration accélérée du secteur ».

Il aurait été plus juste d’écrire : sous l’effet des tests COVID dont le volume a explosé dès l’automne 2020 (avec un généreux prix d’appel, fixé par la CNAM elle même).

Si l’on recalcule le pourcentage d’évolution à périmètre égal en se bornant en toute rigueur à l’évolution [2016-2019], on trouve des chiffres beaucoup plus réalistes (entre +4.2 et +5.5% soit un petit +1.5%/an)

Autre prose, celle d’une lettre signé par G. Attal et F.Braun courant 2022 avec une nouvelle terminologie, la rentabilité « atypique ».

Nul besoin de sortir de l’ENA pour comprendre sur quel terrain les gardiens des comptes publics veulent emmener les laboratoires de biologie médicale. Après les 10 ans sur les prix allemands, le nouveau mantra pour des 10 prochaines années sera donc un management des prix basé sur la rentabilité économique des laboratoires.

L’ABM (alliance pour la biologie médicale) l’a finalement compris et s’est payé les services d’un cabinet de conseil réputé, qui n’a malheureusement pas réussi à produire une étude comparative solide en ce sens.

La solidité des chiffres remise en question

Ce travail a été fait dans un précédent article assez empirique de viedebio et les nouveaux chiffres présentés ci-dessous viennent renforcer la malhonnêteté du discours tenu avec un EBE/CA moyenné à 19% de moyenne tout secteur confondu et un taux de 11% dans l’automobile (et non 2%) et 19% dans l’informatique (et non 8%). Il n’y a en conséquence aucune « rentabilité atypique » dans le secteur de la biologie médicale (en ère pré Covid toutefois). La dernière baisse de 250 millions d’euros devrait de plus faire atterrir l’EBE/CA entre 13 et 14% en 2023.

Ces données sont corroborées par le chiffre de participation moyen versé à 8 millions de salariés du privé (calcul dépendant des bénéfices de l’entreprise) : 2660 euros par an en moyenne en 2019 (source DARES), un montant largement supérieur à la participation versée pour un laboratoire qui aurait bénéficié d’un EBE/CA autour de 20% en 2019.

Comparaison faussée avec la rentabilité des cliniques

Franck von Lennep, directeur de la Sécurité sociale (DSS) au ministère a déclaré en septembre 2022.

« La concentration du secteur et le développement de l’activité ont permis à la biologie médicale d’augmenter sa rentabilité de façon très importante, à hauteur de 23 % en 2020, contre 6,7 % pour les cliniques privées » (source).

La DREES publiant chaque année son étude sur la rentabilité des cliniques privées, semble réellement à la peine pour démêler le vrai du faux de la véritable rentabilité des établissements à but lucratif dans la cascade de holding et autres millefeuilles de sociétés civiles, sans compter ceux qui ne déposent par leurs comptes. Elle le reconnait in extenso dans son dernier rapport « Cette analyse porte sur des entités juridiques (les cliniques), mais ne tient pas compte des structures de groupe. En effet certaines cliniques sont intégrées à des groupes de sociétés dont l’organisation interne peut fortement influencer l’analyse des performances au niveau de chaque société fille de ce groupe (Haag, 2019 ; Chanteloup et Haag, 2019). Par exemple, si les dettes de long terme et les projets d’investissements lourds d’un groupe sont tous portés par une société fille distincte de la société fille gérant la clinique privée, le taux d’endettement ou l’effort d’investissement calculés pour cette clinique privée seront sous-estimés (Richet, 2022).

Viedebio suggère à la DREES de s’épargner du travail fastidieux et de plutôt rechercher dans les communiqués de rapport d’activité annuel des grands groupes de clinique à l’attention de leurs investisseurs.

Voici quelques exemples des 2 principaux groupes de cliniques en France :

  • Du côté d’Elsan, la transaction de 2020 entre CVC et KKR a valorisé le groupe de cliniques à près de 3,3 milliards d’euros,  soit 12 X EBE sur la base d’une marge d’EBE de 12.7% (source).
  • Pour les établissements de Ramsay Santé (surtout actif en France) une « marge d’EBE à 16% » au 30/06/2021 (source), en progression de +17.7% par rapport à 2020.

Dans les faits, la DREES se trompe donc globalement d’un facteur 2.

Des médecins et pharmaciens biologistes non payés à l’acte

En second lieu, à la différence des cliniques, il est important de relever que la rentabilité des laboratoires permet de rémunérer médecins et pharmaciens biologistes.

En effet, indépendamment des tarifs réglementés des GHS (groupes homogènes de soin), le ministère semble oublier que les médecins exerçant en libéral dans les cliniques (soit 90% des praticiens) ne sont pas rémunérés par celles-ci mais payés à l’acte par la Sécurité Sociale (source). Des honoraires, parfois extrêmement importants, pour certaines spécialités, qui ne bénéficient d’aucune régulation.

La bulle spéculative est très loin d’avoir intéressée la rémunération des biologistes médicaux. En effet, si l’on s’intéresse à l’évolution du BNC des médecins biologistes libéraux (100% secteur 1) entre 2004 et 2020, il n’est pas difficile de constater que le phénomène de financiarisation des structures ayant débuté en 2010 n’a aucunement bénéficié aux rémunérations de ces derniers.

Elle a même drastiquement diminué : les médecins biologistes, qui présentaient un bénéfice non commercial (BNC) annuel deux fois plus important que la moyenne des médecins au début des années 2000, avaient un BNC 20 % moins important que la moyenne des autres spécialités, s’approchant de 75 000 euros en 2019. Ce dernier ne s’est redressé qu’en 2021 du fait de la crise Covid, pour se rapprocher du BNC moyen des médecins généralistes de secteur 1 (source DREES).

Ann Biol Clin 2022 ; 80(6) : 565-72 (K. Cassinari)

Comme corrélation n’est pas forcément causalité, on peut comparer cette courbe déflationniste à :

1. L’évolution des dépenses de biologie médicale

https://www.businesscoot.com/fr/etude/le-marche-des-laboratoires-de-biologie-medicale-france

2. l’évolution du nombre de biologistes : – 15 % en 10 ans

Actuellement, environ 5600 biologistes médicaux exercent dans le secteur privé.

CNOP, panorama démographie pharmaciens biologistes 2022

Le ratio biologiste/nombre de site diminue drastiquement puisqu’il est d’environ 1.1 pour les principaux groupes financiers à 1.3 pour les groupes indépendants (source panorama des réseaux, biologiste infos, 11/22).

3. Le nombre de SEL, reflet de l’intense activité de fusion/acquisition : de 4000 en 2010 à 289 début 2023 (310 il y a 1 an)

https://vertone.com/blog/2023/07/12/les-laboratoires-de-biologie-medicale-contexte-defis-et-perspectives/

Dans la mesure où l’EBE/CA a été stable (et ce malgré les baisses de nomenclature successives) et que les biologistes ne sont pas devenus davantage actionnaires de leurs structures, il apparait que la création de valeur, que l’on peut aussi plus pudiquement appeler « partage des gains de productivités », s’est faite aux seuls bénéfices de la CNAM, des fonds d’investissement et des biologistes retrayants, et aux dépens de la rémunération des médecins et pharmaciens biologistes libéraux qui ont dû parallèlement augmenter leur productivité.

Dans la mesure où ni la CNAM ni les fonds d’investissement ont concrètement contribué sur le terrain à la réussite de cette décennie de restructurations, la « rente de situation » n’est pas toujours celle que l’on croit…

Merci et bravo ?

En 30 ans, la biologie aura successivement subi les critiques de la rente de situation (Evin), du  modèle allemand (heureusement mis en échec), la rente de situation (toujours à l’œuvre, mais sans préciser laquelle), les gains Covid (le quoiqu’il en coute), la bulle spéculative (merci la BCE), et maintenant l’angle d’attaque des EBE/CA (qui ne tient pas plus la route et ne tient même pas compte de la dette qu’il fut nécessaire de lever pour procéder à cette consolidation éclair).

En réalité, la biologie souffre peut être de son extrême résilience et est en train de sacrifier ce qu’il reste de sa richesse (les biologistes médicaux).

Il faut sauver le soldat biologiste

La biologie médicale est un secteur en constante évolution scientifique, qui a montré son efficacité et sa résilience et pour laquelle il est attendu dans les années à venir de grandes innovations dans les domaines du diagnostic, du pronostic et de la médecine personnalisée. L’académie de médecine (qui n’a pas pour habitude de parler pour ne rien dire) a publié un deuxième rapport fin 2022, s’inquiétant de la perte d’attractivité de la biologie médicale auprès des étudiants, dont les conséquences en termes de perte de compétence s’avèreront catastrophique sur le système de santé tout entier et déjà précarisé depuis quelques années.

Depuis 2010, le diplôme d’étude spécialisé de biologie médicale (DESBM) a connu une forte baisse de son attractivité auprès des étudiants en médecine. L’obligation d’accréditation, la diminution du temps médical, la concentration des laboratoires de biologie médicale, leur financiarisation avec un cadre peu propice à l’installation de novo et la généralisation des statuts TNS ultra-minoritaires, ont impacté son attractivité pour les jeunes générations. Depuis 2014, entre 8 % et 16 % des postes de biologie médicale disponibles pour les étudiants en médecine restent vacants chaque année, totalisant plus de 100 postes non pourvus pour le DESBM en 8 ans. Jusqu’en 2009, la majorité des étudiants choisissant le DESBM étaient dans la première moitié du classement des ECN. Cette tendance s’est inversée depuis.

Ann Biol Clin 2022 ; 80(6) : 565-72 (K. Cassinari)

Une situation de crise qui touche également le secteur public. Dans une enquête dévoilée en décembre dernier, le SNBH révèle l’ampleur de la difficulté des laboratoires de biologie hospitaliers dans le recrutement de nouveaux praticiens.

Les praticiens accusent le plus souvent l’accréditation, la permanence des soins, les salaires, le manque de moyens, la lourdeur administrative, le statut, ou encore la gouvernance et les regroupements. Des éléments demeurent cependant attractifs, comme la diversité du travail, les liens avec les cliniciens, ou encore la recherche, les missions transversales ou la stabilité de l’emploi.


Perspectives pour 2024

Du côté des groupes, très peu de transactions depuis le début de l’année sont à relever (Biolam, Xlabs…), la remontée des taux d’intérêt avec le juste retour d’un coût plus élevé de la dette ont clairement produit ses effets.

Quelques news de Biogroup (qui chercherait à se vendre), Inovie ou Cerba sont à lire sur la page dédiée de ce même site, régulièrement mis à jour.

Les pratiques agressives de concurrence semblent également de retour. La CNAM remarquait fort à propos dans son rapport Charges et Produits que la stricte régulation des tarifs s’était faite sans que l’accès financier ou géographique de l’offre ou la qualité des soins ne soit remise en question. En ce sens, il s’agit -a priori- d’une pleine réussite pour la CNAM, dans son mandat de garantir un accès aux soins aussi équitable que possible. Le maillage territorial national reste préservé puisque la majeure partie de la population française
reste située à moins de 30 minutes en voiture d’un site de LBM et la moyenne en laboratoire de
biologie médicale pour 100 000 habitants stable et qui s’élève à 7,3 (source CNOP).

Le nombre de sites de laboratoire a tendance à augmenter depuis 1 an, avec une nette accélération en 2022. Dans l’optique chère aux fonds LBO, puisque la dette est chère, il est moins couteux d’ouvrir en face d’un concurrent que de tenter de le racheter. Entre 2019 et 2023, 95 nouveaux sites de laboratoire ont ainsi été ouverts sur le territoire français, portant le total à 4 215 sites en France métropolitaine répartis sur 356 SEL. On notera que la diagonale du vide des déserts médicaux n’a pour ainsi dire pas été touchée par cette flambée de création.

Ce qui, pour la CNAM, devrait finalement signer un aveu d’échec.

Biologistes info 07/23 S.Payeur SIL LAB expert

Autre actualité brulante, les attentes du personnel de laboratoire qui sont naturellement très fortes en termes de revalorisation salariale comme soutien au pouvoir d’achat face à une inflation qui caracole à +5%. Très loin du généreux Segur consentis au personnel des établissements de santé publics et privés, les négociations ont jusqu’à présent laissé un gout d’amer d’échec aux représentants des OS, les réévaluations de salaire ayant pour le moment surtout écrasé la grille salariale entre les différents coefficients. Le personnel d’entretien, dont le salaire au SMIC a été augmenté de 9 % depuis 2021, sera-t-il bientôt au même niveau de rémunération que l’infirmière ou la technicienne de laboratoire dont la rémunération n’a augmenté que de 3% dans le même temps ? Avec des charges en personnel toujours très élevées en comparaison à d’autres secteurs, leurs engagements financiers, la nouvelle baisse de nomenclature qui devrait être de 90 à 100 millions pour 2024 pour respecter les termes de l’accord, 6 à 7 points de marge en moins attendu, les laboratoires pourront ils se le permettre ? Tout porte à croire qu’il faudra faire preuve de compréhension entre les deux parties.

Cette pression continue va inévitablement poser la question de l’arbitrage à long terme entre le nécessaire maintien de leurs résultats financiers et le maintien d’un haut niveau de qualité de service risquant, n’en déplaise aux pouvoirs publics, de faire progressivement basculer un modèle d’excellence à qualité prouvée vers un modèle « low-cost ».

Au total, deux visions s’opposent radicalement :

– la confiance de la CNAM constatant les ouvertures de site et le maintien des EBE depuis le début des régulation prix/volume donnant l’illusion que les labos savent indéfiniment s’adapter à des contraintes économiques dures et pourront continuer à absorber la croissance du volume des actes et maintenir une offre de qualité tout en développant les actes innovants

– la baisse du service de proximité et la gestion des soins non programmés, l’augmentation des délais de rendu d’examens biologiques, la remise en question du n site / n bio, et les incontournables conflits humains et sociaux

Le prix à payer pour une biologie low cost à qualité prouvée sera -si rien n’est fait très vite- à la disparition progressive des biologistes médicaux. Dans tous les secteurs où il y eu chute des revenus combinée à une augmentation des contraintes de productivité, la pénurie s’est installée, les biologistes médicaux n’y feront pas exception, avec un effet domino qui ne tardera pas à produire ses effets. Et c’est surement ce qui est souhaité.

Est il bien raisonnable de rajouter dans la complète désorganisation actuelle des soins primaires en France de la crise à la crise ?

Les promesses du gouvernement : toujours du conditionnel

Déjà en 2022, les biologistes espéraient la mise en place de futurs « États Généraux de la biologie médicale » afin que le prochain protocole 2023 sorte d’une gestion purement comptable pour traiter des enjeux d’innovation, de prévention et la place accrue que le biologiste pourrait jouer dans les parcours de soins à l’avenir.

Le nouveau ministre de la Santé, Aurélien Rousseau a salué cet été « le protocole d’accord « fixant pour les années 2024 à 2026 une trajectoire économique claire pour le secteur », ajoutant vouloir « ouvrir, dès la rentrée, une concertation avec les biologistes autour des évolutions à plus long terme de leur discipline. ». L’augmentation de l’attractivité de la discipline pourrait passer par la poursuite du développement des missions médicales de biologistes (prescription, conseils, telexpertises, consultations, dépistage en première intention, sensibilisation prévention, etc.)

En outre, il est également prévu de créer observatoire de l’accès aux laboratoires, permettant d’avoir une meilleure connaissance de la cartographie des laboratoires, de leurs horaires d’ouverture en réponse aux besoins de la population, dans l’objectif d’améliorer l’accès aux soins et de consolider le maillage territorial.

Une autre requête des représentants des biologistes qui reste toujours lettre morte est l’inscription des biologistes médicaux dans la 4ème partie du Code de Santé Publique, leur permettant d’être enfin identifié comme des acteurs de santé à part entière et non sous la vague double bannière des médecins spécialistes ou pharmaciens biologistes.

Une question du sénateur du Cher Rémy Pointereau contextualise fort bien cette demande légitime.

« La non-reconnaissance des biologistes médicaux comme professionnels de santé conduit non seulement à une vision purement technicienne de la biologie aux dépens d’une vision médicale, mais également à confondre l’outil (le laboratoire de biologie médicale) avec le professionnel responsable de l’acte biologique ».

Ce qui éviterait peut-être à servicepublic.fr de nous appeler « laborantins », un terme qui n’a plus court depuis le siècle dernier !

La santé coute trop cher, ne revalorisons pas les actes, responsabilisons les professionnels, augmentons la charge de travail, déléguons des tâches médicales à d’autres professionnels, gérons le risque par de l’affichage et des normes qualité toujours plus chronophages…

Le management par la logique comptable sur le secteur libéral semble bien être le seul modus operandi des pouvoirs publics.

La perte de sens est grande.

Deux notes d’espoir pour terminer.

Pour le moment, le seul groupe de travail sorti des cartons pour la biologie est celui de la maitrise médicalisée, afin de respecter les clauses de l’accord. Il aura pour objectif de produire des référentiels de bonne pratique, afin d’éviter un recours inutile aux examens de biologie médicale. Il reste encore quelques semaines au gouvernement pour tenir sa promesse et annoncer l’ouverture des très attendus Etats Généraux de la biologie médicale, en s’inspirant du très intéressant « Projet pour la Biologie Médicale » récemment rédigé par le SBBPL (avec notamment une proposition de réforme de rémunération du biologiste), ou encore du prochain « Livre Blanc » du CNOP.

La décision du 10/08/23 du Conseil d’Etat qui a considéré que l’indépendance de la profession vétérinaire constituait un sujet « d’intérêt général », et approuvé la décision de l’Ordre des Vétérinaires de radier 4 cliniques vétérinaires non dirigés majoritairement par les vétérinaires en exercice.

Suite au prochain épisode…

7 commentaires sur « Rentrée 2023 pour les LBM : un accord et des désaccords »

  1. J’arrive pas à le croire : de grands groupes veulent délocaliser les plateaux techniques en espagne ou europe de l’Est?

    Quelles actions mener pour empêcher cela, comment empêcher une médecine à deux voire trois niveaux en fonction de l’état de fortune des patients? Sommes-nous vraiment condamnés à subir cette évolution?

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  2. Bonjour. J’apprécie votre analyse approfondie. Il faudrait cependant regarder la situation de ce domaine (biologie médicale en France, médicine de laboratoire en Allemagne, pathologie clinique aux Etats Unis) au niveau global. Toutes les autres grandes économies du monde, développées (Allemagne, USA, Japon) et émergentes (Chine, Inde, Brésil) voient ce domaine en tant que système avec des capacités industrielles. Ce n’est pas un hasard qu’on peut voir à partir de 2019 une alliance globale appelé « The Global Diagnostics Network » créée par des grands groupes industriels, comme le géant américain Quest Diagnostics et l’allemand Synlab. Dans cette alliance on retrouve même une entreprise de l’Arabie saoudite (très importante au Moyen Orient), sans retrouver pourtant aucune entreprise française. Ou est la France dans ce contexte et comment peut-elle peser dans une compétition globale?
    Qu’est-ce qui va se passer si un jour une entreprise chinoise veut entrer sur le marché français de biologie médicale? L’Etat s’y opposera? et cela à quel prix?
    L’enjeu n’est pas de s’accrocher au passé
    et de sauver les décombres de la biologie libérale, mais de renforcer et medicaliser le rôle du biologiste médical dans le système de santé et lui donner une importance accrue dans le contexte des déserts médicaux.

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    1. Bonsoir, merci pour cette réaction. Sans nul doute, une biologie de plus en plus industrialisée s’imposera inéluctablement en France. Mais la transition sera longue car patients comme cliniciens sont trop habitués au modèle culturel de la biologie française et vivraient cela comme une régression, dans un contexte de pénurie médicale peu propice à la révolution organisationnelle des modèles, déjà si fragilisés. Cette « résistance » durera tant qu’un contre modèle au tout industriel pourra économiquement subsister. Il ne s’agit pas des laboratoires « à la papa », dont la qualité pouvait manquer d’uniformité mais de laboratoires qui voient encore un patient, une situation clinique, derrière chaque dossier, prenant des décisions plus éthiques qu’économiques dans leur stratégie d’entreprise. Produire des données n’est pas difficile, produire des données médicalement pertinentes l’est beaucoup plus. Pénétrer un marché étranger avec de telles barrières à l’entrée et des tarifs très administrés est donc loin d’être simple. Mais les groupes nationaux de biologie ont déjà bien amorcé leur développement à l’international, avec trois attentes principales : exporter leur savoir faire, poursuivre leur expansion (vitale à leur Ponzi) et équilibrer leur EBE, attendu meilleur dans des nations libres d’accord de régulation coût/volume. Vous parlez du Moyen Orient, Cerba est déjà en phase avec un joint-venture stratégique avec Nexus Gulf Healthcare (CDP du 19/10/23).
      Mais je vous rejoins, le prochain combat à mener est bien celui du rôle du biologiste médical, le prochain article y sera justement consacré.

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  3. La création de nouveaux sites n’est pas seulement du fait des grands laboratoires. De nombreux biologistes indépendants se lancent dans l’aventure, conscient du fait que c’est probablement la seule manière d’avoir des parts. Sans oublier le retour de JL Oger à travers kantys bio…à suivre

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    1. N’oublions pas qu’il y a des réseaux indépendants « de proximité » qui ont des sites à plus de 70 km du plateau technique (une heure de route).

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      1. Ce n’est plus de la proximité on est d’accord mais c’est peut être en réaction à une « agression » sur un autre territoire. Encore faut il avoirs avoir une réserve de biologiste suffisante…

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      2. 70 Kms ça reste de la proximité à l’heure ou des grands groupes pensent à délocaliser vers l’Espagne ou même certains pays de l’Est.
        Tout ça bien sûr avec des avions qui fonctionnent à l’énergie solaire (ou à la voile pour les plus ambitieusement greenwashables).

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