Depuis la modification il y a un an de la doctrine fiscale applicable au régime des rémunérations des associés de sociétés d’exercice libéral (SEL) relevant de l’IS, les professions libérales concernées étaient dans l’attente du rescrit définitif. C’est chose faite depuis la mise à jour de 74 pages BOI-RES-BNC-000136 du BOFiP paru le 27/12/2023.

Jusqu’au 31 décembre 2023, l’Administration fiscale tolérait que les rémunérations perçues par les associés de SEL, soient imposées à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des Traitements & Salaires article 62 du CGI sur la déclaration d’impôt n° 2042.  La mise à jour du BOFiP a expressément supprimé la possibilité d’imposition des rémunérations des associés de SEL sous l’article 62. L’administration fiscale considère désormais que celles-ci correspondent majoritairement à des fonctions techniques relevant de la catégorie des bénéfices non commerciaux (BNC), à déclarer sous le régime de la déclaration contrôlée (formulaire 2035 / liasse fiscale des professions libérales).

Deux conséquences majeures :

  • perte de l’abattement forfaitaire pour frais professionnel de 10 % sur la partie fonction technique BNC
  • déductibilité possible des charges professionnelles et cotisations personnelles non prises en charges par la SEL

Ce nouveau régime fiscal va toucher à partir de 2024 nombre de professions libérales exerçant en SELAS, SELARL, SELAFA ou SELCA, dont les TNS biologistes médicaux associés de SEL, ultra minoritaires compris, avec à la fois un impact fiscal à la hausse et une symbolique « anti profession libérale » loin d’être anodine.

Historique : la jurisprudence de deux arrêts pris en Conseil d’Etat en contradiction avec la doctrine fiscale en vigueur

Jusqu’à présent (et depuis 30 ans), qu’il s’agissait d’associés dirigeants de SEL (sous l’article 62) ou des rémunérations perçues par les associés non dirigeants de SEL pour leur activité libérale sans clientèle personnelle (sous l’article 80), le régime fiscal des traitements et salaires s’appliquait.

Successivement en 2013, puis 2017, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur le régime fiscal des rémunérations perçues par les associés des SEL dans deux décisions (Conseil d’Etat 10ème et 9ème sous-sections, 16 oct. 2013, n° 339822 ; Conseil d’Etat 8ème et 3ème ch., 8 déc. 2017, n° 409429). Ces deux décisions ont posé le principe de l’imposition des rémunérations perçues par les associés d’une SEL au titre de l’exercice de leur activité libérale dite « technique » au sein de cette société dans la catégorie des bénéfices non commerciaux (BNC), conformément à l’article 92 du CGI, « sauf à démontrer que cette activité est exercée dans des conditions traduisant l’existence, à l’égard de la société, d’un lien de subordination caractérisant une activité salariée conduisant, par exception, à imposer les revenus tirés de cette activité dans la catégorie des traitements et salaires ».

L’exercice libéral contreviendrait de fait à l’éligibilité de l’imposition sous l’article 62.

La déclaration article 62 en traitement et salaires était particulièrement avantageux car il permettait de déduire de son revenu brut les charges sociales obligatoires, éventuel plan d’épargne retraite (PER) individuel, prévoyance et complémentaires santé « Madelin » tout en bénéficiant soit de l’abattement forfaitaire de 10 % pour frais professionnels (en principe réservé aux salariés, plafonné à la somme confortable de 13 522 euros), soit en justifiant des frais réels (le plafond pouvant alors être dépassé). Autrement dit, l’article 62 permettait de cumuler le « meilleur des 2 mondes » : un salaire en fiscalité IR (impôt sur le revenu) avec abattement de 10% pour frais professionnels (parfois même pris en charge par la SEL et jamais réintégré au revenu brut…), un régime TNS en social avec déductibilité du revenu imposable des cotisations obligatoires et facultatives.

Après une première phase de concertation non aboutie en 2021 avec les instances représentatives, notamment de l’UNAPL, l’administration a donc fini par modifier unilatéralement sa doctrine fiscale, il y a un an, le 15 décembre 2022, afin de se mettre en conformité avec la jurisprudence édictée par le Conseil d’Etat. Ce coup de tonnerre, passé relativement inaperçu dans la profession, a provoqué une unanime levée de bouclier de la part des experts comptables, avec demande de report et une tolérance admise par la Direction de la législation fiscale (DLF) pour l’exercice 2023. Pendant un an, beaucoup d’espoirs ont été entretenus concernant les détails de mise en œuvre. Or, ces espoirs se sont éteints quelques jours après Noël dernier, et le régime qui se dessine est de l’avis général « particulièrement strict, exorbitant du droit commun et discriminatoire en ce qu’il affecte uniquement certaines professions libérales réglementées, alors que d’autres y échappent, de même que l’ensemble des entreprises non libérales ».

Le Conseil national des barreaux (CNB) avait demandé, dès 2018, l’extension du champ d’application de l’article 62 du code général des impôts, de façon à y englober l’ensemble des rémunérations des associés dirigeants ou non dirigeants. Ces négociations se sont poursuivies au cours de la longue phase de concertation de l’Ordonnance du 8 février 2023 sur les SEL, réformant le droit des structures d’exercice des professions libérales réglementées (PLR). Le CNB a proposé aux pouvoirs publics de combler le « chaînon manquant » de la loi du 31 décembre 1990, avec la création d’un véritable statut juridique de l’associé exerçant, et la consécration de l’ associé professionnel exerçant, notion ayant vocation à recouvrir toutes les situations d’exercice professionnel au sein d’une SEL, avec ou indépendamment d’un mandat social, et permettant de donner à tous les associés libéraux, pour leur activité technique, un statut unique social et fiscal, et en particulier, bénéficier des dispositions de l’article 62 du CGI. Cette demande n’a pas abouti, tout comme l’amendement déposé fin novembre 2022, devant la commission des finances (rejeté à la demande du ministre des Comptes publics, M. Gabriel Attal) ou encore un autre amendement dans le cadre de la discussion du projet de loi de finances pour 2024, proposant une option pour l’article 62 à l’ensemble des associés de SELAS, SELAFA, SELCA ou SELARL, également rejeté…cette fois ci à la demande du gouvernement. A la manœuvre depuis, l’énarque Laurent Martel, ancien conseiller fiscalité de l’Elysée sous Macron, et directeur fraichement nommé à la direction de la législation fiscale depuis septembre 2023.

Impact de la nouvelle doctrine : 3 niveaux d’imposition avec leurs spécificités respectives : activité technique + mandat social + dividendes

  1. Régime d’imposition sur les revenus de l’activité « libérale » ou « technique » déclaration contrôlée BNC ou micro BNC

A compter de l’imposition des revenus de l’année 2024 (déclarés en 2025), les rémunérations dites « techniques » des associés de SEL perçues au titre de leur activité libérale seront imposées dans la catégorie des bénéfices non commerciaux en régime réel d’imposition. En application de l’article 97 du CGI, il devra donc être établi une déclaration n°2035.

Qu’est ce qu’un BNC et à qui s’applique t’il ?

Les bénéfices non-commerciaux qualifient les revenus des professions libérales réglementées ou non, tirés d’une activité professionnelle de nature non-commerciale, avec une notion de « clientèle particulière ».

Ils concernent :

  • Professions juridiques (avocats, huissiers, notaires…) ;
  • Professions médicales (médecins, infirmières libérales, dentistes, vétérinaires…)
  • Architectes,
  • Avocats, experts-comptables
  • Professions artistiques…

Cette activité professionnelle interdit de ce fait la création de toute forme de société commerciale et c’est dans cette optique que le législateur a créé les sociétés d’exercice libéral (« SEL ») afin de permettre aux membres des professions libérales de pouvoir tout de même exercer leur activité sous la forme de sociétés de capitaux. Jusqu’à présent, les BNC ne concernaient que les professions libérales en entreprise individuelle, pour lesquels l’imposition totale était calculée sur les bénéfices (ex : le médecin généraliste en cabinet individuel), qui se révélait assez pénalisante sur les plus hauts revenus, sans optimisation possible (au-delà d’un certain seuil de revenu, l’imposition pouvait être vécu comme confiscatoire puisque les sommes générées par l’activité était imposée sur la plus haute tranche). Il y avait alors un intérêt fiscal pour ces professions libérales à exercer leur activité en SEL puisque celle-ci, assujettie à l’impôt sur les sociétés (IS), pouvait bénéficier d’une déduction de la rémunération des associés de son assiette fiscale, permettant de réduire le résultat de l’entreprise et donc l’impôt sur les sociétés.

Impact principal sur l’imposition nouvelle formule : le barème progressif de l’impôt sur le revenu sera appliqué sur honoraires en BNC (augmenté des éventuels remboursements consentis par la société, à considéré comme un supplément d’honoraire) sans bénéficier de l’abattement forfaitaire de 10 % pour frais professionnels. Exception faite s’il existe un lien de subordination avec la société, auquel cas, l’associé pourra être imposé suivant l’art. 80 du CGI.

Si l’on se réfère à la jurisprudence de la Cour de cassation, l’existence d’un lien de subordination devrait être une situation exceptionnelle dès lors que l’associé exerce son activité libérale sous le contrôle d’un Ordre professionnel et non sous celui de la SEL ; en effet, le lien de subordination apparaît difficilement conciliable avec l’exercice d’une profession libérale réglementée, où le professionnel exerce sous sa seule responsabilité. Le professionnel libéral est celui qui réalise l’acte de la profession règlementée, quand bien même il le réalise pour le compte de la société d’exercice, sous le contrôle de l’autorité ordinale et non sous celui de la société (Arrêt de la Deuxième chambre de la Cour de cassation du 20 juin 2007 n°06-17146 – Ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023 article 40). Selon l’administration fiscale, les professionnels libéraux sont des personnes exerçant une activité intellectuelle indépendante, telle que la pratique d’une science ou d’un art. Ils sont principalement rémunérés pour leur travail personnel, sans être soumis à un lien de subordination, et sont responsables de la qualité technique et morale de leur prestation.

Il subsiste la possibilité d’application du régime « micro-BNC » aux associés de SEL si les conditions de seuil sont respectées, permettant une déduction forfaitaire de charges de 34 % à porter sur la déclaration n° 2042, sous réserve que les revenus tirés de leur activité libérale et déclarés au titre de l’année de référence n’excèdent pas le seuil de 77 700 € (chiffre d’affaires annuel hors taxe) prévus au un de l’article 102 ter du code général des impôts. Pour apprécier ce seuil, il n’est pas tenu compte notamment des plus-values de cessions d’éléments d’actif affectés à l’exercice de la profession (CGI, art. 102-ter ; BOI-BNC-DECL-20-10)  

2. Régime d’imposition sur les revenus lié au mandat social (fonctions de direction)

Les rémunérations des associés de SEL pour leur fonction de mandataire social pourront continuer d’être imposées dans la catégorie des « Traitements et salaires », article 62 (assimilé TS) ou article 80 en bénéficiant de l’abattement de 10%.

La difficulté va donc consister à déterminer la répartition (dite « ventilation ») entre la part du temps de travail consacré à l’exercice technique de la part liée aux fonctions de « gérance ».

Vers une répartition forfaitaire de tolérance de 30%, 20%, 10%….5% ?

Cette ventilation, à présent obligatoire, a été longtemps discutée et finalement arrêtée de manière unilatérale par l’administration fiscale dans la mise à jour du BoFiP et ce, sans tenir compte de la taille de la structure d’exercice, comme il en fut un temps question. Cette dernière a admis, à titre de « règle pratique », qu’une part de seulement 5 % de la rémunération d’ensemble perçue par les gérants majoritaires de SELARL correspond par défaut aux revenus afférents à leurs fonctions de gérant, et sont en conséquence imposables dans les conditions de l’article 62 ou 80 du CGI. Autrement dit, l’administration fiscale fait la présomption que les gérants de SEL consacrent 95% à l’exercice de leur activité libérale et seulement 5% de leur temps à l’exercice de leurs fonctions de direction, soit un temps quasi anecdotique.

Au-delà de ce pourcentage, il reviendra à l’associé de pouvoir justifier la quote-part supérieure ; notamment par des feuilles de temps ou encore un exercice particulier de l’activité. Une attention particulière devra être portée sur les documents internes (règlements intérieurs, pactes d’associés, procès-verbal d’assemblée générale…) afin de justifier la quote-part de rémunération des fonctions de gérance puisqu’elle sera susceptible d’impacter le résultat fiscal. Pourraient être concernés ceux qui dirigent une suffisamment grande structure pour être déchargés d’une partie ou de la totalité de leur activité technique ou encore du fait de leur organisation interne (ce qui pourrait en théorie concerner les SELARL de laboratoire de taille moyenne encore indépendantes, dans lesquelles les biologistes associés ont encore de réelles fonctions de direction et passe sans cesse d’une fonction à l’autre ? Rien n’est moins sûr puisque l’administration fiscale rappelle au niveau de son BOFIP que les rémunérations perçues au titre de la fonction de gérant sont celles allouées à raison des tâches qui ne sont pas réalisées dans le cadre de l’activité libérale (par exemple : convocation d’assemblée, déménagement de siège social, représentation de la société dans les rapports avec les associés et à l’égard des tiers, réunions de direction, etc.). A contrario, elle précise ce que le mandat n’est pas, à savoir toute la partie administrative, back office, logistique, encadrement des équipes, rédaction de documents techniques…qui sont pour elle toutes partie intégrante de l’activité libérale.

Deux options pour rester en article 62/80

—La fonction indissociable

Lorsque les rémunérations versées au titre des fonctions techniques et de gérance se confondent (l’exception des « fonctions indissociables »), elles sont imposées dans les conditions de l’article 62/80 du CGI mais l’intéressé doit apporter la preuve par tout moyen qu’il est dans l’impossibilité de ventiler. Cela concernera que de rares dirigeants et cela se fera à priori au prix de cotisations sociales plus élevées théoriquement en contrepartie de droits supplémentaires (double affiliation au régime général des salariés liée à la qualité de mandataire social ? aucun texte n’excluant en effet le cumul des affiliations indépendant + salarié ) et de l’impossibilité (nouvelle) de déduire ses cotisations « Madelin » sur le montant afférent non BNC. L’administration rappelle en effet qu’en application de l’article 154 bis du CGI, la déduction des cotisations « Madelin » des rémunérations perçues par l’associé de SEL au titre de l’exercice de son activité libérale, n’est admise que dans le cas où lesdites rémunérations sont assujetties à l’IR dans la catégorie des BNC et non dans la catégorie des TS.

—Le lien de subordination à l’égard de la société et/ou l’existence d’un contrat de travail

Cet état de fait semble entrer en contradiction avec l’exercice sous l’égide d’un ordre professionnel, en tout cas du point de vue de la jurisprudence. De plus, l’existence de ce lien de subordination à l’égard de la société expose au risque de requalification par l’URSSAF des contrats TNS en travailleurs salariés et de lourdes pénalités pour la société.

Impact fiscal

En appliquant le seuil de 5/95 prescrit par l’administration fiscale et suivant les montants de rémunération de l’associé TNS de SEL et sa tranche marginale d’imposition, la perte d’abattement de 10% produira une hausse d’impôt relativement conséquente.

Dans les exemples chiffrés ci-dessous, le montant de charges sociales est calculé sur la base d’une affiliation 100% au régime des travailleurs indépendants (le sujet de l’éventuelle double affiliation au régime des travailleurs indépendants TNS pour  la partie technique et général en assimilés salariés pour la partie mandataire sociale, moins favorable car plus couteuse, est une option mais parait complexe à mettre en œuvre).

Exemple 1 :

 Avant réformeAprès la réforme
Rémunération annuelle100 000 Rémunération de 100 000 annuel Fonction technique = 95  000 BNC Fonction mandataire = 5 000
95 0005 000
Charges sociales (TNS)26 00024 7001300
Revenu net avant impôt74 00070 3003700
Base imposable sur IR66 600 (abattement 10%, article 62 sur 100% rémunération)70 3003330
73 630 (abattement 10% uniquement sur la partie non BNC)

Au total, 7000 euros de base imposable supplémentaire, sur laquelle on applique le taux d’imposition marginal correspondant à la situation familiale. S’il est à 30%, le montant d’impôt supplémentaire annuel sera donc d’environ 2100 euros.

Exemple 2 :

 Avant réformeAprès la réforme
Rémunération
annuelle
160 000 Rémunération de 160 000 annuel Fonction technique = 152 000 BNC Fonction mandataire social = 8000
152 0008 000
Charges sociales (TNS)41 60039 5202080
Revenu net avant impôt118 400112 4805920
 106 560 (abattement 10%, article 62 sur 100% rémunération)112 4805328
117 808 (abattement 10% uniquement sur la partie mandataire social)

Au total, 11 248 euros de base imposable supplémentaire, sur laquelle on applique le taux d’imposition marginal correspondant à la situation familiale. S’il est à 30%, le montant d’impôt supplémentaire annuel sera d’environ 3400 euros. S’il est à 41%, le montant d’impôt supplémentaire annuel sera d’environ 4600 euros.

Pas négligeable en ces temps inflationniste, d’autant que l’addition pourrait se révéler plus élevée avec le projet évoqué par l’exécutif de relever les taux d’imposition dans les tranches les plus élevées.

Le gain pour les finances publiques de cette modification de doctrine est estimée à environ 1 milliard d’euros.

Comment réduire la facture ?

Seule option : imputer de conséquents frais professionnels permettant de faire baisser le montant imposable, ce qui revient souvent à engager des dépenses pour obtenir une réduction d’impôt ou du moins la compensation des frais engagés. Cela ne se fera pas non plus sans un relatif alourdissement comptable.

Taxe sur la valeur ajoutée

Les rémunérations perçues par les associés de la part de SEL n’entrent pas dans le champ d’application de la TVA. Il est précisé que c’est bien la SEL qui exerce la profession en cause par l’intermédiaire des associés. Dans ces conditions, dans la mesure où ce n’est pas l’associé qui supporte le risque économique mais bien la SEL, l’associé ne peut pas être regardé comme étant assujetti à la TVA, les rémunérations versées ne sont donc pas soumises à l’obligation de facturation prévues à l’article 289 du CGI. Un avantage du régime de la déclaration contrôlée en BNC aurait pourtant résidé dans la possibilité de déduire la TVA ayant grevée les dépenses de l’entreprise. Le professionnel pourrait en théorie collecter la TVA pour ses prestations et la déduire pour ses dépenses. Cette possibilité a été clairement niée par le BOFIP.

Cotisation foncière des entreprises (CFE)

Les associés d’une SEL ne sont pas imposés à la cotisation foncière des entreprises (CFE) en leur nom propre. Rappelons que la SEL est déjà imposable à la CFE dans les conditions de droit commun. Sauf à exercer une activité professionnelle distincte de celle exercée au sein de la SEL (existence de moyens ou de patientèles/clientèles propres ; expertise médicale…), il n’y aura donc pas d’assujettissement à la CFE à titre personnel d’un associé d’une SEL.

L’option pour l’assimilation à une EURL écartée

L’imposition de la rémunération au titre des BNC a conduit à s’interroger sur la possibilité pour les associés exerçant en mode individuel avec d’importants résultats en BNC pleinement imposés à l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP) de bénéficier de la nouvelle faculté offerte depuis le 14/02/2022 aux entrepreneurs individuels (EI) d’opter pour l’imposition de revenus professionnels à l’impôt société (IS) tout en séparant leur patrimoine professionnel de leur patrimoine personnel. Elle permet de générer une économie équivalente à une 13ème mois en réduisant les prélèvements obligatoires (impôts et cotisations sociales obligatoires personnelles) via un panachage de dividendes et de rémunérations de travailleur indépendant.

Mais le BOFIP est limpide sur ce point : l’associé d’une SEL ne pourra pas exercer l’option pour l’assimilation à une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) prévue à l’article 1655 sexies du CGI afin d’être soumis à l’impôt sur les sociétés, et ce, qu’il en soit directement l’associé ou qu’il détienne indirectement les titres de la SEL par l’intermédiaire d’une SPFPL. En effet, lorsqu’un professionnel devient associé d’une SEL, il apporte sa clientèle sous la forme d’un fonds d’exercice libéral, par conséquent, le professionnel associé d’une SEL n’est pas réputé exercer son activité professionnelle indépendante en son nom propre et ne répond donc pas à la définition d’entrepreneur individuel.

Ce qui est somme toute assez logique. Ce qui l’est moins est l’intérêt d’exercer en commun en SEL ? Si l’associé apporte sa clientèle à la SEL et est imposé en BNC comme s’il était un indépendant ? Et si à l’opposé un entrepreneur individuel peut de son côté relever de l’IS comme une SEL ?

Honoraires rétrocédés par une SEL aux associés de SPFPL

L’administration précise dans le BOFIP que lorsque la SEL verse directement une rémunération à l’associé d’une société de participations financières de professions libérales (SPFPL), au titre de son activité professionnelle au sein de cette SEL, cette rémunération relève en principe de la catégorie des BNC.

Au total, que la rémunération soit versée en honoraires directs ou à travers une SPFPL, l’imposition est la même.

Ceci afin de prévenir tout abus qui consisterait à ne plus se verser de rémunération BNC et tout mettre en dividendes dans un but d’optimisation fiscale mais aussi sociale… ce qui nous amène sans transition à l’affaire de l’indélicat chirurgien dentiste, qui avait opté pour une rémunération 100% sous forme de dividendes.

Assujettissement des dividendes perçus par les holdings de sociétés libérales (SPFPL) aux cotisations sociales : l’explosive jurisprudence de l’arrêté du 19/10/2023

Dans son arrêt rendu le 19 octobre 2023 (Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 19 octobre 2023, 21-20.366) la Cour de cassation a confirmé un arrêt de la Cour d’appel d’Aix en Provence de 2021, considérant que le dividende versé par une SEL à une SPFPL faisait partie du produit de l’activité professionnelle du professionnel libéral exploitant et devait en conséquence être pris en compte dans  l’assiette des cotisations sociales (Urssaf et Caisse de retraite), que ce résultat soit distribué ou non aux associés concernés. Le chirurgien-dentiste, mis en cause dans l’affaire cité, seul associé professionnel en exercice au sein de la SELARL, détenait directement 1% du capital social et 99% par une SPFPL dans laquelle lui et sa conjointe étaient seuls associés. Notifié d’un appel de cotisations supplémentaires, il a saisi d’un recours la juridiction chargée du contentieux de la Sécurité Sociale. Les juges du fond ont suivi la caisse de retraite et ont retenu que les dividendes en question revêtaient la nature de revenus d’activités (rémunération d’un travail plutôt qu’à des revenus du patrimoine) et devaient ainsi entrer dans l’assiette des cotisations sociales, peu importe qu’au regard de la réglementation applicable, la SPFPL soit dotée d’une personnalité morale distincte.

Concrètement, cela signifiait que les professionnels libéraux qui souhaitaient remonter des dividendes depuis leur société d’exploitation (SEL) vers leur holding (SPFPL), devraient dorénavant s’acquitter des cotisations sociales.

Bien entendu, l’arrêt ne dit rien des conséquences de sa solution et, notamment, quid de la double taxation lorsque le solde des dividendes restants sera réellement distribué à la personne physique, et quid des deux régimes distincts prévus par l’article L. 131-6 III du code de la sécurité sociale (loi du 17/12/2008) qui assimile déjà la quote-part des dividendes, au-delà des 10 % du capital social, à un revenu d’activité, devant être soumise aux cotisations sociales des travailleurs indépendants, et non à un revenu du capital.

Cette décision est susceptible de remettre en question un schéma juridique couramment utilisé par les professions libérales au moyen des sociétés de participations financières (SPFPL) créées en 2001 et les avantages fiscaux recherchés.  Ce « frottement social », qui représente environ 34 % du montant distribué, anéantit la raison d’être des montages de type LBO/OBO ouvertes aux professions libérales (holding contrôlant un ou plusieurs sociétés-filles). Il pourrait ouvrir droit aux organismes sociaux de redresser rétroactivement les charges sociales sur l’ensemble des dividendes distribués sur la période de prescription et entraîner le dépôt de bilan à chaque fois que la SPFPL s’est endettée pour procéder à l’acquisition des parts ou actions de sa filiale dans le cadre d’un rachat de parts. Comment en effet répondre aux obligations résultant de l’emprunt avec un dividende réduit d’un tiers lorsque le prix de cession des SEL, l’octroi de l’emprunt par la banque, les cautions et assurances signés pas les professionnels libéraux ces dernières années ont tous été basés sur l’hypothèse que la remontée des dividendes de la SEL à la SPFPL subissait un prélèvement de 1,25 %  (i.e. 25% d’impôt sur les sociétés sur une quote-part de frais et charges de 5% en application du régime mère fille).

A priori, cette jurisprudence ne s’appliquerait qu’aux SEL unipersonnelles, dans la mesure où dans le cas d’espèce du dentiste cité plus haut, le seul travail de l’unique associé a permis de générer les bénéfices distribués. Sinon, comment déterminer à quelle hauteur chaque associé serait redevable des bénéfices générés et distribués par la SEL. Cette absence de transposition aux SEL comptant plusieurs associés exerçants reste cependant une hypothèse d’interprétation tant que le pouvoir politique n’a pas statué.

6. L’arrêt constate que le chirurgien-dentiste est le seul associé professionnel en exercice au sein de la SELARL et le seul à Générer des revenus permettant de constituer les dividendes distribués à la société de participations financières, dans laquelle lui et son conjoint sont les deux seuls détenteurs de parts sociales. Il relève que ces dividendes correspondent à la rémunération d’un travail plutôt qu’à des revenus d’un patrimoine.”

En outre, cet arrêt pose d’autres questions :

  • Discrimination face à l’impôt du professionnel libéral versus un chef d’entreprise de droit commun (commercial, industriel, artisanal et agricole) détenant leurs titres à travers une société holding, rémunéré en salaires, et percevant des dividendes soumis à la seule CSG/CRDS ou aux dirigeants des sociétés par actions non assujettis aux cotisations sociales ?
  • La décision fait abstraction du principe de disponibilité des revenus (article L131-6 du CSS): ces derniers ne sont effet pas directement perçus par le praticien TNS mais bien par la SPFPL, personnalité morale autonome, qui plus est soumise à l’impôt sur les sociétés.
  • Pourquoi ne pas avoir usé tout simplement de la procédure de répression de l’abus de droit social, peut être parce qu’il n’a pour objet d’interdire au contribuable de choisir le cadre juridique le plus favorable du point de vue fiscal pourvu que ce choix ou les conditions le permettant ne soient empreints d’aucune artificialité…

Bref, tout cela est très compliqué.

Différentes organisations professionnelles se sont émus et emparées du sujet afin de faire remonter aux pouvoirs publics les difficultés posées par cette décision.

Le gouvernement a finalement proposé un amendement pour clarifier les cotisations sociales TNS et exclure les dividendes de l’assiette des cotisations dans certaines conditions (amendement n°3313 du 25 octobre 2023 pour le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024), prévoyant une réécriture complète des articles L131-4 et -6 du CSS.

Mais certains conseils ne seraient cependant pas étonnés que l’administration fiscale souhaite défendre les intérêts des organismes sociaux, notamment caisses de retraites des libéraux, et soit amené à vouloir assujettir à cotisations la totalité des revenus, ou a minima définir une clé de répartition entre rémunération et dividendes afin d’empêcher certains professionnels de réaliser des montages excessifs pour se soustraire à la juste contribution sociale en lien avec leurs revenus.

Il serait tout à fait légitime que les organismes de sécurité sociale invoquent aujourd’hui un acte anormal de gestion lorsque le mandataire ne se voit pas rémunérer normalement. Son activité BNC devrait en principe au minimum égaler celle de la valeur de marché d’un praticien salarié au regard de la compétence technique. Si les choix de gestion sont à priori discrétionnaires au dirigeant, l’administration est en droit de lui imposer une sincérité économique dans leur application.

Au jour de la publication de cette doctrine actualisée, les commentaires relatifs aux cotisations sociales des dividendes versés par une SEL à une SPFPL ne sont pas finalisés (BOFiP-BNC-BASE-40-60-50-10, indiqué en cours de rédaction).

A ce stade, l’enjeu n’est pas moins d’assurer la survie de l’activité entrepreneuriale indépendante en SEL en sauvegardant la possibilité de transmettre ses parts de société entre professionnels, sans donner d’avantage financier aux LBO menés par des personnes morales.

Pour en savoir plus sur ce sujet spécifique :

article rédigé par agn-avocats

article rédigé par Olifan group

Sans transition et toujours au bénéfice des caisses de retraite

La réforme de l’assiette fiscale des indépendants

Le budget de la Sécurité Sociale 2024 comporte dans son article 10 une réforme de l’assiette des cotisations sociales des indépendants qui concernera les biologistes médicaux libéraux dès 2025.

Contexte

En 2020, le haut conseil du financement de la protection sociale avait alerté sur le fait que les travailleurs indépendants payaient trop de cotisations sociales, au regard de ce que payaient les salariés. En effet, les indépendants ne peuvent partager le poids de leurs charges sociales avec un employeur, d’où des cotisations et une protection sociale moindres. Ce désavantage naturel serait mieux vécu s’il n’était aggravé par la composition différenciée des prélèvements sociaux. Les indépendants paient en effet plus de CSG/CRDS que de cotisations créatrices de droits à la retraite, la faute à l’existence d’une assiette simplifiée sur les revenus nets pour les cotisations sociales et d’une assiette alourdie pour la CSG/CRDS sur la totalité du revenu dit « superbrut ». La réforme supprime cette inégalité contributive entre salariés et travailleurs indépendants. Elle consiste à calculer l’ensemble des cotisations et contributions sociales sur une assiette unifiée (art. L 131-6 et L136-3 du CSS), constituée des recettes, après déduction des frais professionnels (hors cotisations et contributions sociales), abattu d’un taux plafonné fixé à 26%, identique à celui qu’un employeur aurait sur les cotisations sociales d’un salarié. Cela permettra donc de rééquilibrer la balance en payant moins de CSG/CRDS. Comme cette mesure allait couter 1.5 Md euros aux finances publiques (notamment à l’Assurance Maladie), il fallait assurer la neutralité financière du dispositif. L’Etat a donc décidé d’augmenter en parallèle les taux de cotisations maladie des indépendants, en fonction du nombre du  revenu exprimé en nombre de Pass (46 368 € en 2024).

Un impact sur les pharmaciens biologistes aux plus hauts revenus et 30 000 médecins exerçants secteur II  

Cette évolution aura un impact négatif sur les pharmaciens biologistes disposant des plus hauts revenus et pour 30 000 médecins de secteur II et un impact positif pour 96% des médecins de secteur I qui verront une baisse sensible de l’ensemble des prélèvements sociaux. Les médecins biologistes par définition en secteur 1 ont une part de leur cotisation prise en charge par l’Assurance maladie. Globalement pour les médecins de secteur 1, la baisse des cotisations sera d’environ 700 euros par an pour des revenus nets équivalents à un PASS et jusqu’à 2.800 euros pour 5 PASS. Pour ceux en secteur 2, les prélèvements sociaux vont augmenter : 1.400 euros pour des revenus égaux à deux PASS et jusqu’à 2.200 euros pour des revenus équivalents à 5 PASS. Un impact plus modéré pour les pharmaciens biologistes, sauf ceux au-dessus de 5 PASS, avec une perte plus importante en cotisation (-2500 euros) qu’en gain retraite (+200 et +1300), des gains qui seront susceptibles d’être révisés dans le temps par la baisse des barèmes. Les caisses de retraite auront-elles à cœur de  réajuster les droits à la retraite afin de neutraliser cette inégalité de traitement et rendre la réforme neutre ?

Les médecins de secteur 2 qui subiront des augmentations de prélèvements sociaux pourront augmenter leurs dépassements d’honoraires mais ce ne sera pas le cas pour les pharmaciens biologistes, induisant une nouvelle injustice en terme de rémunération nette.

La transition appellera un temps d’adaptation et de vigilance, notamment sur les nouveaux taux de cotisations. A défaut de certitudes, difficile d’estimer encore le véritable impact financier de cette réforme. Attention donc à la régularisation de cotisations en 2025…

DISCUSSION

Pour les biologistes TNS, cette création de « BNC de forme » apparait aussi complexe qu’incohérente. Elle est contraire à l’essence même de l’exercice sous forme de SEL, car sans bénéfice individualisé qui pourrait être liée à une activité ou clientèle personnelle, et sans échappatoire possible. Certes, elle ouvre la possibilité de déduire des frais professionnels mais dans un cadre extrêmement limité et surveillé. Au final, l’impact fiscal sera important, mais aussi social puisqu’au-delà de la simple sphère de l’impôt sur le revenu, toute variation à la hausse impacte également les prélèvements obligatoires des organismes sociaux (Urssaf / CARMF / CAVP).

Un certain fatalisme nous orienterait vers l’unique motivation de l’administration fiscale de FAIRE RENTRER DE L’ARGENT DANS LES CAISSES. Les professions libérales restent en effet une cible facile de hauts contribuables non délocalisables avec d’altruistes objectifs de redistribution vers les plus bas revenus, de maintien de nos capacités d’emprunt public sur le marché de la dette, divers engagements de maitrise des déficits auprès de l’Union Européenne ou bien encore de financer le confortable train de vie des frais de nos hommes politiques, qui savent, eux, se mettre à l’abri des vicissitudes de l’inflation. Mais alors pourquoi limiter ce durcissement aux seuls associés de SEL ?

Il faut alors se souvenir que le pouvoir politique parvient toujours à atteindre dans le temps ses objectifs : la lutte contre la supposée « rente » des professions réglementées afin de « redonner du pouvoir d’achat aux français », en baissant les prix. Une thèse soutenue depuis plus de 10 ans par A. Montebourg puis E. Macron. Si ce n’est pas via les tarifs (réglementés) ou la concurrence, le couperet viendrait il de la fiscalité?  Et des professionnels de certains secteurs comme la biologie, pâtiront sans doute des 3. Pendant que d’autres secteurs, ayant le bénéfice d’être plus liés capitalistiquement à l’Etat, semblent a contrario intouchables : énergie, sociétés concessionnaires d’autoroutes, banque et assurances privées.

Cette petite révolution, intervenant dans le même temps que l’Ordonnance sur les SEL, n’est donc pas sans soulever quelques interrogations plus profondes, notamment celles de la question du droit et des motivations cachées de l’administration fiscale de créer de toute pièce un régime fiscal sur mesure pour les seuls associés de SEL avec de nombreuses asymétries de périmètre.

Asymétries entre professionnels libéraux

Ce nouveau régime fiscal, à la complexité byzantine de l’aveu même des professions du chiffre et du droit qui s’y sont penchés va poser de multiples problèmes d’égalité de traitement devant l’impôt.

En premier lieu, l’asymétrie intra SEL où la déductibilité forfaitaire à 10% va s’appliquer de façon différenciée entre un associé majoritaire, un associé dirigeant ayant exclusivement des fonctions de direction et les nombreux professionnels TNS à diplôme égal et à fonction majoritairement technique qui verront imposer leurs revenus en BNC à 95%.

En deuxième lieu, ce nouveau régime s’applique exclusivement aux associés de SEL qui sont les seuls mentionnés dans le BOFiP : les associés de sociétés d’exercice de droit commun (SEDC) ne sont pas concernés, comme les pharmacies, les experts-comptables, les commissaires aux comptes, conseils en propriété industrielle, architectes, qui sont pourtant dans le champ des professions libérales réglementées, exercent en SEDC (SA, SARL, SAS…), et pourraient continuer à exercer sous cette forme en échappant donc à la mise en œuvre de ce régime BNC. Il existe donc une vraie rupture d’égalité entre les professionnels en fonction du type de société retenu pour l’exercice en commun.

Le conditionnel est de mise car, sur ce point, l’article 132 de l’ordonnance fleuve du 8 février 2023 (lien) pose des problèmes d’interprétation divergente aux juristes. Possibilité de rester en SEDC, obligation d’exercer sous forme de SEL ou application aux SEDC des dispositions relevant des SEL. Indiscutablement, cette différence de régime pose question (lire le communiqué du CNB 04/2023). Personne ne semble avoir la réponse définitive à ce jour.

Asymétrie vis-à-vis des autres chefs d’entreprises de sociétés de droit commun (SARL, EI-EURL/IS, associés de SCP…)

Il existe une seconde discrimination vis à vis traitement fiscal des chefs d’entreprise non professions libérales (professions commerciales, industrielles, artisanales ou agricoles…).

Le gérant de SARL reçoit en effet une rémunération au titre de son mandat social ou de son contrat de travail (s’il exerce des fonctions techniques distinctes de son mandat) définie par rapport au CA et bénéfices de l’entreprise. Celui-ci relève pourtant de la catégorie des revenus de dirigeants article 62, sans nécessité de ventilation, et peut bénéficier de l’abattement forfaitaire de 10 % sur la totalité de sa rémunération, normalement déduite de certains avantages en nature (logement, voiture, remboursement de frais professionnels).  

Asymétrie entre SEL de médecins secteur I conventionnés

Tout comme les médecins conventionnés secteur I, les médecins biologistes par définition conventionnés peuvent déduire automatiquement sans justification 2% de leurs recettes brutes pour leurs petits frais professionnels (représentation, réception, prospection, cadeaux professionnels, travaux de recherche, blanchissage, petits déplacements…). Malheureusement, un médecin biologiste exerçant rarement seul de nos jours, lorsqu’il s’agit de sociétés de personnes exerçant une activité non commerciale, le bénéfice imposable est déterminé au niveau de la société suivant les règles décrites à l’article 93 du CGI et l’abattement de 2 % n’est applicable qu’aux sociétés civiles de personnes exclusivement composées de médecins conventionnés du secteur I ou de praticiens admis à pratiquer cet abattement (II-A-2-a § 200)  dont les pharmaciens biologistes ne font pas partis.

Par ailleurs, les médecins biologistes conventionnés relevant du régime de la déclaration contrôlée peuvent bénéficier également de la déduction du groupe III. De plus, ils peuvent prétendre à la déduction complémentaire de 3 %  (BOI-BAREME-000025). Mais attention, la déduction du groupe III et la déduction complémentaire de 3 % sont calculées sur le montant des honoraires conventionnels afférents à des actes médicaux, à l’exclusion des honoraires correspondant à des actes côtés en B.

Asymétrie avec de nombreux citoyens bénéficiant d’avantages fiscaux

Outre les salariés, bénéficiant d’un confortable plafond de 14 171 euros d’abattement pour frais professionnels, les retraités qui continuent de bénéficier d’un abattement forfaitaire de 10 % plafonné à 4 123 € pour l’ensemble des membres du foyer fiscal alors même qu’ils ne peuvent plus justifier d’aucun frais professionnels ou encore les journalistes professionnels qui peuvent déduire de façon forfaitaire la somme de 7650 euros sur les salaires et piges…

Fin de l’intérêt fiscal des SEL ?

Les professions libérales, sont par définition des travailleurs non salariés, indépendants, dont l’activité est soumise à leur seule responsabilité dans l’intérêt du public. Les professionnels libéraux produisent un service garanti par les différents Ordres professionnels. Par la qualité de leur travail, leur disponibilité et leurs compétences au quotidien, ils assurent le bien-être et la protection des populations qui, elles-mêmes contribuent au bon fonctionnement de la société. Elles ont le choix d’exercer sous plusieurs formes juridiques : soit via l’entreprise individuelle, soit via les Sociétés d’Exercice Libéral (SEL) ou les Sociétés Civiles Professionnelles (SCP). Les SEL incarnent un équilibre entre la nécessité d’exercer une profession de manière indépendante et les avantages d’une structure sociétaire, comme la limitation de responsabilité des associés aux apports en capitaux, la possibilité de partager les bénéfices générés et financer des investissements avec un résultat n’ayant supporté que l’impôt sur les sociétés.

Elle n’est ni plus ni moins la duplication des sociétés de droit commun pour l’exercice spécifique des professions libérales réglementées.

« Les sociétés d’exercice libéral (SEL) présentent la caractéristique d’être liées de manière très étroite aux associés qui exercent en leur sein. C’est un des éléments permettant d’écarter le risque d’une prise de contrôle extérieure et de garantir leur indépendance »

Conclusions de M. Thiellay, Conseil d’État, section, 7 avril 2010, n° 322.305

Malgré ce qu’affirme l’administration fiscale, l’imposition dans la catégorie BNC n’est pas conforme à l’exercice professionnel en commun dans le cadre d’une SEL : la clientèle est celle de la SEL et non celle de l’associé qui exerce sa profession au nom de cette dernière et non en son nom propre. Le régime de la déclaration contrôlée en BNC ne devrait concerner uniquement les professionnels libéraux exerçant en entreprise individuelle (statut unipersonnel) ou dans une société de personnes, qui relève de l’impôt sur le revenu (IR) et non de l’IS. Sur le site public d’état « entreprendre/service public », il est précisé qu’en tant que profession libérale, « les bénéfices de votre activité vous appartiennent ». Cela a du sens pour un médecin généraliste, même exerçant en MSP où chaque activité professionnelle est séparée et le paiement des charges mutualisée.

Cette sur-imposition sans fondement des associés de SEL risque de progressivement détourner les professionnels libéraux de l’exercice sous cette forme sociétale. Elle pourrait signer à moyen terme l’arrêt de mort de ce dernier outil de transmission et d’intégration des jeunes libéraux. En attribuant un avantage concurrentiel aux montages n’intégrant pas de professionnels libéraux, elle accélèrera la transition vers des ETI puis multinationales, dont les professionnels seraient les employés réputés indépendants, au mieux salariés et dans le pire des cas associés ultra-minoritaires, une situation fréquemment rencontrée et de façon très discutable dans le secteur de la biologie.

La question philosophique du lien de subordination

Pour rappel, le lien de subordination est caractérisé par « l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur, qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements ». La signature d’une convention d’exercice libéral pour l’associé définit son statut, ses conditions d’exercice et obligations, apparait bien difficile à relier dans la pratique à un mode de subordination vis-à-vis de la SEL.

Voici ce que rappelle une telle convention dans le monde de la biologie médicale :

Le biologiste exerce en tant que biologiste médical au sein de la SELAS et est dument enregistré à ce titre en tant que professionnel libéral auprès des organismes compétents. Le biologiste remplit les conditions requises pour exercer en tant que biologiste médical, au sens de l’article L6213-1 du Code de la santé publique. Par ailleurs, Le biologiste est tenu de se conformer au code de déontologie des pharmaciens (article L4235-1) ou médecins (article L 4127-1) du code de la santé publique…. Le biologiste exerce son art au sein de la SELAS en toute indépendance et sous sa seule responsabilité́…. La SELAS verse au biologiste une rétrocession d’honoraires en fonction de ses vacations effectuées, soit un versement mensuel, d’une rétrocession d’honoraires d’un montant fixé à … €. Cette rétrocession d’honoraires s’entend pour …. vacations par semaine.

Historiquement, le statut TNS avec convention d’exercice libéral était subordonné au pacte d’associé avec entrée progressive dans le capital d’une SEL. Ce statut est aujourd’hui détourné puisqu’il devient permanent : en proposant une association minoritaire limitée à 1 part, les SEL remplissent l’objectif du « n bio » « n sites » à peu de frais. L’associé fictif, bien que nommé « directeur général » n’a en réalité aucun pouvoir de direction (en terme de droit de vote aux assemblées par exemple ou de droit capitalistique) et a une latitude très limitée en terme d’organisation professionnelle (planning de présence, impossibilité de développer une activité personnelle). L’indemnité de gérance perçue est le plus souvent également quasi insignifiante. Sa rémunération est fixe et indépendante du chiffre d’affaires. De plus, l’optimisation financière des groupes incite les directions à souhaiter transformer les contrats de directeurs adjoints salariés en TNS ultraminoritaires, permettant à la fois de rationaliser au niveau juridique les effectifs (n bio ni site) et surtout financier (un TNS est plus économique qu’un salarié en termes de charges patronales).

Voici ce que cela donne en pratique

In fine, l’imposition BNC vient donc s’ajouter à la très longue liste des injustices du statut TNS ultra minoritaire, ce qui pourrait servir l’agenda politique souhaitant requalifier en salariés ces faux associés de SEL voire être l’occasion de remettre en question le n bio associé au capital, n sites ?

Pourtant, selon la jurisprudence du Conseil d’Etat du 16 octobre 2013, la circonstance que « l’associé professionnel interne (API), même ultra minoritaire, ne puisse pas développer une clientèle personnelle ou dispose d’un contrat de travail au sein de la SEL ne suffit pas à elle-seule pour renverser cette présomption d’indépendance ou estimer qu’il existe un lien de subordination et établir un salariat, à défaut de preuve contraire permettant de démontrer une réelle absence d’autonomie ». Un API d’une SEL est en effet supposé exercer son art en toute indépendance vis-à-vis de ses associés et de la SEL, sous réserve de respect des statuts ou du règlement intérieur de cette dernière. Ce principe de présomption d’indépendance dans l’exercice de ses fonctions techniques, dont bénéfice de plein droit un associé de SEL, même ultra-minoritaire, a été confirmé, sur le plan social, par une jurisprudence constante (Cass. civ. 2ème Chambre 20 juin 2007, n° 06-1746 ; Cass. civ. 2ème, 5 juin 2008, n°07-12981).

Il semble donc admis qu’un contrat de travail précisant un ou des lieux d’exercice, des horaires, un planning de présence ne puisse caractériser l’existence d’un lien de subordination.

Toutefois, il existe à ce jour des procédures en cours diligentées devant le Conseil des prud’hommes par des biologistes API ultra-minoritaires de SEL visant à obtenir à l’encontre de celles-ci la reconnaissance d’un lien de subordination constitutif d’un salariat, estimant être placés dans une situation de salariat déguisé, soit dans un lien véritable de subordination vis-à-vis de la SEL de LBM.

Il est d’ailleurs remonté récemment qu’un groupe de 40 biologistes TNS aurait été récemment condamné à provisionner 12 millions d’euros à l’URSSAF pour requalification du fait de liens de subordination avérés entre ces directeurs généraux et la société.

Cela semble être à géométrie variable pour l’administration fiscale, en tout cas, définie en fonction de son intérêt financier. A Moulins, des médecins (en BNC), en venant exercer dans une clinique locale, pensaient entrer dans un dispositif fiscal incitatif (exonération d’impôt pour certaines spécialités en tension dans des zones définies « en revitalisation rurale »). Des années plus tard, la direction des impôts, estime qu’ils ne sont pas dans les clous. L’administration fiscale a finalement estimé que ces médecins n’étaient pas éligibles car “dépendants de la clinique”. Le point d’achoppement, c’est le contrat d’exercice libéral avec la clinique, qui précise les modalités d’utilisation du bloc ou encore de l’organisation de la permanence des soins. Ce qui est, à notre sens, juste une organisation, nécessaire pour la sécurité des patients. Mais pour la DDFIP de l’Allier, une relation de subordination. » Et vient pointer dans le contrat « l’utilisation des locaux, le personnel et le matériel de la polyclinique, à laquelle vous devez rendre compte de votre activité », « le schéma organisationnel », « la clause de non-réinstallation dans une autre structure hospitalière privée dans un rayon de 20 km pendant deux ans. Vous ne pouvez donc pas développer une patientèle propre », etc Les médecins utilisent certes les infrastructures de la clinique, ses plateaux techniques et les locaux, mais ils paient pour cela une redevance qui équivaut à un pourcentage de leurs honoraires. Cela correspond à une location équipée. Il n’y a pas non plus de réelles clauses d’exclusivité dans ce contrat qui lierait les médecins. Il n’y a pas de notion d’indemnité de fin de contrat, ni de concurrence.

« L’administration s’appuie sur un jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand qui fait suite à un double refus de rescrit à l’automne 2022. »  Mais aussi sur un autre point précis, soulevé à l’Assemblée nationale en 2018 : les praticiens hospitaliers, salariés, qui ont aussi une activité libérale, ne peuvent pas prétendre aux exonérations. L’administration a considéré que cela pouvait être appliqué à des praticiens libéraux.

Pourquoi, en 2023, les déclarations de tous ces médecins ont-elles été réexaminées plusieurs années après leur installation ? Une question qui reste à ce jour sans réponse.

Demain, tous auto-entrepreneurs ou uberisés ?

Le statut d’auto entrepreneur dit « free-lance » créé en 2009 a rencontré énormément de succès en France : régime universel, inscription en ligne, prélèvement forfaitaire unique intéressant fiscalement : 2.5 millions d’auto entrepreneurs déclarés depuis 2009. Sa simplicité est biblique, et contraste avec l’enfer administratif co-existant par ailleurs. Ce statut d’indépendant a le vent en poupe car il incarne une relation au travail en pleine mutation, éloigné du code du travail dont l’obsolescence semble programmée face à ces nouvelles réalités : plus d’autonomie, plus d’intermittence, plus de liberté !

Certains politiques y voient l’espoir de combler les manques dans certains métiers en tension dont le manque d’attractivité serait compensé par la souplesse des contrats mais pose de nombreuses questions : question du lien de subordination, risque de requalification pour l’employeur, question de la protection sociale des indépendants mais aussi du manque à gagner social et fiscal. Rien n’est plus facile en effet que de commettre une erreur de déclaration sur son assiette fiscale lorsque l’on est auto entrepreneur : un manque à gagner pour l’Etat et l’URSSAF estimé aujourd’hui à 10 milliards d’euros, concentré à ce jour essentiellement dans les secteurs du BTP et de l’hôtellerie-restauration. Mais les champions hors catégorie restent les micro-entrepreneurs intervenant sur des plateformes collaboratives (VTC, livreurs…), notamment via la minoration du nombre d’heures.

Il est intéressant d’aborder ce sujet car depuis la crise Covid sont en train d’émerger en France des plateformes d’uberisation des soignants. Face aux immenses besoins de remplacement que connaissaient les établissements de santé, deux plateformes – Brigad et Mediflash – ont importé ce modèle. Le secteur des Ehpad est particulièrement concerné, un des secteurs de santé historiquement le plus ultra-financiarisé, intégrant un facteur de pénibilité non négligeable et du personnel peu qualifié.

Brigad, la première de ces plateformes, a été créée en 2015. Elle proposait à l’origine des missions de remplacement dans l’hôtellerie et la restauration, avant d’élargir son offre à la santé en 2020. Cofondateur et patron de la start-up, Florent Malbranche estimait en 2022 sur BFM Business que son modèle correspondait aux aspirations du moment : « La nouvelle génération ne veut plus avoir un rapport sacrificiel au travail ». Maîtriser son emploi du temps, choisir le lieu où l’on travaille et pour qui… C’est ce que fait donc miroiter Brigad à ceux qui choisissent de s’inscrire sur sa plateforme. La démarche est simple. Il suffit de télécharger l’application et de s’enregistrer. La plateforme est donc un intermédiaire entre les travailleurs d’un côté, et les établissements d’autre part, en prenant au passage une commission d’environ 20 %. La plupart des métiers du secteur médico-social sont proposés : aide-soignant, infirmier, auxiliaire de vie, aide médico-psychologique… Comme sur Uber, le tarif est affiché. Une fois la mission effectuée, le travailleur reçoit même une note, de une à cinq étoiles, et il peut évaluer l’établissement dans lequel il a travaillé. Brigad revendique aujourd’hui 15 000 travailleurs indépendants inscrits sur sa plateforme et 10 000 entreprises clientes en France et au Royaume-Uni, où elle est aussi implantée. Depuis, Brigad a connu une croissance très rapide, notamment grâce à plusieurs levées de fonds. La dernière en date, d’un montant de 50 millions d’euros, a été annoncée en février 2023 avec comme principal contributeur, le fonds de capital-risque britannique Balderton Capital.

En 2020, une autre start-up s’est lancée, Mediflash, fondée par de jeunes entrepreneurs, tous diplômés d’un master à HEC. La société fonctionne aussi avec des travailleurs auto-entrepreneurs qui choisissent leurs missions en s’inscrivant sur une plateforme. Avec environ 2 000 utilisateurs mensuels et 600 établissements de santé inscrits, Mediflash compte une quarantaine de salariés et a procédé à plusieurs levées de fonds, dont une de deux millions d’euros en 2021 avec le soutien d’un fonds de capital-risque anglais, Firstminute Capital.

Dans ce contexte, les autorités ne restent pas passives. Des contrôles sont menés depuis le début de l’année par les inspections du travail et par les Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (Urssaf) pour faire rentrer ces faux indépendants dans le droit chemin du salariat.

« L’exercice de ces professionnels en tant que travailleurs indépendants au sein des établissements de santé ou médico-sociaux, peut tomber sous le coup de la qualification de travail dissimulé. (…) La responsabilité de l’établissement peut alors être engagée (…) et donner lieu à des sanctions pénales, assorties du paiement des cotisations sociales dues aux Urssaf ».

Mais les plateformes contestent l’interprétation juridique du gouvernement. « Dans la loi, rien n’interdit à un aide-soignant d’être auto-entrepreneur », le lien entre l’entrepreneur et la plateforme n’est pas un lien de subordination mais d’une relation purement commerciale.

L’organisme chargé de collecter les cotisations sociales a en effet quelques raisons de s’estimer lésé. Les activités de Brigad et Mediflash représentent « un manque de ressource certain pour l’État en l’absence de cotisations patronales », d’après le professeur de droit à Paris I Grégoire Loiseau. Un constat partagé par Prism’emploi, le syndicat qui regroupe les agences d’intérim. « Le développement de ce type de plateformes mettant à disposition de « faux » travailleurs indépendants, constitue une forme de concurrence déloyale reposant sur un dumping social agressif ».

L’avantage est aussi financier. Les soignants sont mieux payés sous statut indépendant que salarié. En moyenne, d’après Mediflash, le gain de rémunération est d’environ 20 % pour les travailleurs qui font le choix de l’indépendance.

Cette meilleure rémunération s’explique par le statut de ces soignants. Ils sont à leur compte. Les établissements qui font appel à leurs services ne paient donc ni cotisations patronales, ni TVA, ce qui permet de dégager des marges pour augmenter les travailleurs tout en diminuant le coût de leur prestation pour les établissements. Mais ce statut a aussi des inconvénients. Les travailleurs indépendants sont moins protégés sur le plan social. Ils ne bénéficient ni des congés payés, ni des arrêts maladie et n’ont pas droit au chômage. 

Le paradoxe dans cette affaire, c’est que, bien qu’étant soupçonnées d’illégalité par l’État, ces deux plateformes ont bénéficié d’un soutien public ! La Banque publique d’investissement (BPI), dont l’État est actionnaire, leur a en effet accordé plusieurs prêts. Brigad a perçu 3,8 millions d’euros et Mediflash 450 000 euros.

Les choses auraient cependant pu évoluer avec le projet 2024 de directive européenne sur le statut des travailleurs de plateforme numérique. Cette directive devrait instaurer une présomption de salariat, qui permettrait aux travailleurs de se voir reconnaître le statut de salarié, si au moins deux critères sur cinq sont remplis, comme le fait qu’une plateforme fixe les niveaux de rémunération, supervise à distance les prestations, ne permet pas à ses employés de choisir leurs horaires, ou interdise de travailler pour une autre entreprise, des critères qui sembleront familiers aux biologistes TNS ultra-minoritaires. Si au moins deux critères étaient remplis, la plateforme devait être « présumée » employeur et se soumettre aux obligations du droit du travail (salaire minimum, temps de travail, indemnités maladie, normes de sécurité…) imposées par la législation du pays concerné. Cette directive a finalement été rejetée par plusieurs états membres, dont la France, qui a jugé que les « requalifications » auraient été trop automatiques et auraient provoqué trop de contentieux et surtout un risque d’effondrement du modèle économique de ces plateformes. Il faut dire que selon le sulfureux dossier « Uber Files » le président Emmanuel Macron s’est particulièrement impliqué lorsqu’il était ministre de l’économie de 2014 à 2016 à déverrouiller certains verrous administratifs ou réglementaires permettant à la société « Uber » de se développer sur le marché du travail en France.

Cependant, le dossier est à suivre puisque la présidence européenne belge serait parvenue le 08/02/24 à trouver un nouvel accord.

Une mesure de justice fiscale ou une nouvelle arme de transformation anti profession libérale ?

La direction de la législation fiscale vient donc de mettre fin à une tolérance administrative contraire à une jurisprudence du Conseil d’Etat vieille de 10 ans : un revirement radical en contradiction à de nombreuses déclarations récentes :

  • Simplification administrative (Gabriel Attal, 15/01/2024) : cette décision va au contraire complexifier la comptabilité des associés de SEL et surenchérir leur cout de gestion
  • Attractivité des SEL : ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023, texte ayant pour objet de « faciliter le développement et le financement des structures d’exercice des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé »

Pour les TNS ultra minoritaires, il s’agit d’un non sens total puisqu’ils cumulent à présent tous les inconvénients du statut d’indépendant sans en avoir aucun des avantages, avec le petit espoir d’une requalification salariée si une jurisprudence intervenait.

Pour les associés de SEL de laboratoires indépendants (20% des laboratoires) qui n’ont pas cédé aux sirènes de la vente de leurs parts à 200 ou 300% à un fonds de capital investissement, seront-ils poussés à la vente par cette nouvelle fiscalité confiscatoire (un prix supplémentaire à l’indépendance ?), en sachant que l’étape suivante pourrait être de nouvelles déréglementations.

Bref, demain, tous uber en télé travail ou TNS à mi-temps en micro BNC pour des grands groupes d’envergure internationale ? Il existe sans doute également de fortes pressions politiques, les groupes ayant absolument besoin de poursuivre leur croissance externe pour tenir les promesses de valorisations antérieures des sociétés cibles dans un contexte de refinancement de leur dette extrêmement défavorable. La persistance de groupes indépendants sont autant d’obstacles à l’option économique de pouvoir dégrader le service médical rendu pour y parvenir.

L’exercice de la biologie médicale tend à se complexifier. Les modalités d’exercice, de statut, de rémunération et à présent de fiscalité sont très diverses. Comme toujours, les biologistes médicaux s’adapteront et sauront faire preuve de résilience, dans un monde aussi instable sur le plan aussi bien social qu’économique.  Il n’en reste pas moins qu’entre fiscalité à géométrie variable, revente de l’outil de travail et fissuration des SEL, l’horizon n’en finit pas de s’assombrir pour les professions libérales dont on aura de plus en plus de peine à définir les qualités de réelle indépendance professionnelle. Il devient néanmoins difficile de trouver des arguments contre une volonté d’Etat de créer de nouvelles distorsions de concurrence entre un professionnel personne physique et une personne morale dans l’actionnariat des SEL.

Un Etat qui a un intérêt stratégique à progressivement financiariser les professions libérales

  • Cash back sur plus-value de vente : la plus-value dégagée subit une taxation de de l’ordre de 30% (PFU), à laquelle peut s’ajouter la Contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (3 à 4%) et/ou barème progressif à l’impôt sur le revenu. Plus le montant de vente est important (grâce aux mécanismes de LBO portés par les fonds de capital investissement), plus le montant de taxation est rémunérateur pour les finances publiques
  • Volonté de traiter avec le moins d’acteurs possibles et tenter de récupérer les gains de productivité réalisés via ces opérations de concentration
  • Ambition de créer des « champions » avec export du savoir faire à l’international

Pour preuve, un courrier émanant de la CCI Paris (chambre de commerce et d’industrie), établissement public placé sous la tutelle de l’Etat, qui joue ici les rabatteurs de revente en LBO pour le compte d’investisseurs privés.

Des groupes financiers, pour lesquels le bien-être de la population n’est pas forcément une variable de réflexion, sont en train d’arracher au monde libéral et en toute discrétion médiatique des pans entiers d’activité de la santé, contraignant les futurs jeunes praticiens à devenir leurs pseudo-salariés, sous couvert d’activité indépendante. Ce phénomène assez hypocrite appauvrit humainement et financièrement les structures. VDB y consacrera de nombreux articles cette année. Mais il semble également enrichir l’Etat, du moins provisoirement. Même si ces groupes ont recours à des holding de tête et des entités en cascade avec des conventions de trésorerie leur permettant ensuite d’optimiser largement leur imposition.

Pendant ce temps, les professionnels de santé n’ont comme horizon que leurs négociations conventionnelles, augmentations ridicules ou recul de la valeur de leurs actes dans un contexte de recul inédit depuis 20 ans des revenus des professions de santé (voir ici), contre de nouvelles exigences imposée par l’administration, dont l’objectif est de faire rentrer dans le rang une bande de libéraux nantis profiteurs d’un système social que l’Etat semble estimer trop généreux avec eux. Pour les moins optimistes, une fuite programmée vers d’autres horizons géographiques ou professionnels s’imposera, posant de nouveaux problèmes, comme celui de l’attractivité, sujet de travail porté disparu avec notre dernier ministre de la santé, remplacé semble t’il par un nouveau gestionnaire de pénurie.

Pour en revenir avec le sujet principal de cet article, certains juristes s’interrogent sur la possibilité de faire faire valoir la question de constitutionnalité et de rupture de l’égalité devant les charges publiques (art 6 et 13 DDHC) entre profession libérale exerçant en société de droit commun, SCP IS, SEDC et SEL et professions non libérales.  Un recours pour excès de pouvoir (REP) aurait d’ores et déjà été déposé contre le texte par nos amis professionnels du droit pour annuler cette doctrine illégale sur la rémunération des associés de SEL. En attendant, le recours est tout sauf suspensif et le BOFIP doit s’appliquer à la déclaration 2025 sur les revenus de 2024.

En l’état actuel des choses, chacun devra faire le deuil de la simplicité et de l’équité pour tirer le meilleur parti possible de ces nouvelles obligations et réfléchir à des schémas lui permettant d’optimiser la structuration de ses revenus. Nul doute que cela représentera une charge mentale supplémentaire pour un résultat somme toute décevant.

Un BOFiP complémentaire plus explicite est attendu d’ici un mois ainsi qu’un article complémentaire (restreint) de VDB.

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11 commentaires sur « Associés de SEL : le BNC s’impose à vous »

  1. Enfin comment un juge peut considérer qu’un TNS ultra minoritaire avec < 0.1 % des droits de vote dans une société tout en bas d'une cascade de société avec à la tête une multinationale peut être indépendant et non soumis à des directives ? Il pense donc que c'est la section G de l'ordre avec ses 2 ETP qui contrôle effectivement son travail ?

    Il y a bien dans ses structures des comités de directions et des directives qui descendent (sinon quel serait l’intérêt de telles structures ?). C'est donc bien qu'un juge ne s'est jamais penché sérieusement sur le sujet ?

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    1. Je suis tout à fait d’accord avec cette approche mais j’essaye d’apporter des éléments factuels.
      Selon l’article L8221-6 les professions libérales sont présumés ne pas être liés avec leur donneur d’ordre par un contrat de travail dans l’exécution de l’activité professionnelle. De plus, comme rappelé, exercice sous l’égide d’un Ordre professionnel en « pleine responsabilité ». Quid aussi de l’assurance RCP : est elle personnelle ou couverture via la société ?
      Rappel : les 3 critères définissant le lien de subordination : pouvoir de donner des ordres dans un service organisé, contrôle et sanction pour rappel.
      Souvent la 2 et la 3 manquent : les TNS ultra n’ont pas d’horaires de travail précis et ne pointent pas, pas de fiche de poste, pas de n+1 officiel sur un organigramme, pas de reporting tracée de l’activité, absence de trace écrite de sanction. En sachant qu’aucun élément, s’il est isolé, ne peut caractériser à lui seul un lien de subordination.
      Ensuite tout dépend de l’axe d’attaque, juridique (risqué , avec jurisprudence défavorable) ou économique : à titre personnel, je pense que l’avenir est plutôt à prouver :
      – que le développement d’une clientèle/patientèle (sur un site pré post par ex) ne bénéficie pas capitalistiquement au TNS (honoraires forfaitaires)
      – l’impossibilité au contraire de développer une clientèle personnelle (sur un plateau)
      L’activité du TNS n’est pas une activité indépendante dans la mesure où, 1. sauf clause contraire, le bénéfice (BNC!!!) qu’il retire n’est pas proportionnel à son activité et n’est pas réglé directement par les patients et 2. ne supporte aucun risque économique lié à son activité (participation au capital ultra minoritaire).

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  2. Bonjour,

    Merci pour cet article très complet. Pour ma part je ne comprend pas pourquoi, alors que depuis plus de 10 ans ces statuts de TNS ultra-minoritaires existent, il n’y a jamais eu une seule requalification en statut de salarié ? Surtout vu la taille actuelle des LBM ?

    Comment ignorer un lien de subordination quand on doit respecter un planning avec des plages de présences, des lieux d’exercices, un employeur unique, un poids négligeable dans les décisions stratégiques, les choix d’automates…

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    1. Bonjour,
      Si vous avez bien lu l’article, il y a une procédure ayant visiblement abouti à une condamnation dans un groupe. La difficulté est de réussir à prouver en apportant des preuves objectives le lien de subordination pour requalifier une convention d’exercice libérale (accepté initialement par le professionnel) en contrat de travail (salarié). Lire par exemple ce relevé de décision qui explique les raisons du déboutement d’un pharmacien biologiste ayant attaqué son ancien employeur pour rupture unilatérale de la convention d’exercice.
      https://www.courdecassation.fr/decision/6380704cee92fb05d4521838
      Les groupes doivent être sensibilisés à ce sujet et doivent j’imagine veiller à ne laisser aucune trace écrite de leurs directives.
      Je connais des biologistes associés dans certains grands laboratoires indépendants qui se voient remettre un planning de présence tous les mois et ont aussi très peu de poids dans les décisions de direction. On ne peut pas diriger à 50 biologistes et un minimum d’organisation est nécessaire pour la bonne marche des sociétés. Pourtant, ils ont le sentiment d’être indépendant dans leur exercice quotidien car ils sont entre pairs, ce qui n’est pas le cas dans d’autres groupes où le management n’est pas forcément médical.
      Tout cela est extrêmement complexe et vient se heurter à l’historique des statuts TS/TNS de certaines professions libérales, le droit du travail, la financiarisation rampante des SEL (qui aurait dû en être une incompatibilité absolue) et la volonté des Ordres à vouloir définir l’indépendance du professionnelle par la seule fonction occupée. Sans oublier la pérennité économique des caisses de retraite CAVP, CARMF, qui verrait d’un mauvais œil une jurisprudence arriver !

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      1. Le statut des TNS ultra-minoritaires est devenue une énorme aberration, qui se rajoute à d’autres anomalies de ce système. C’est un statut tout à fait défavorable aux jeunes biologistes qui intègrent les groupes. Pas étonnant que ce métier manque d’attractivité.
        L’actuel état de la biologie médicale en France représente un échec retentissant de l’État et l’incapacité de réformer un système.
        On accumule les absurdités chaque année dans la biologie médicale. Au lieu de trancher, on ne fait que prolonger la souffrance.

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      2. Oui, et on est face à 3 problèmes :
        – chacun accepte individuellement ces contrats TNS ultra minoritaires défavorables
        – les Ordres semblent avoir piscine depuis trop longtemps sur le sujet
        – clause légale « n sites, n biologistes « associés » au capital » avec le risque de changer complètement de paradigme en cas de suppression, qu’il faudrait remplacer par un nombre de biologiste ETP en lien avec l’activité

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      3. La solution est peut-être de reformer le système de la même manière que les allemands l’ont fait chez eux. On considère que c’est un système industriel et tous les TNS deviennent des salariés avec des rôles bien définis. Cela peut être un point de bascule, très douloureux pour certains, mais beaucoup d’anomalies pourraient disparaître. A côté du cas des TNS ultra il y a aussi le cas de certains TNS grands actionnaires, qui vivent dans un monde parallèle, faisant des prises de sang et de la validation biologique et remplissant en même temps des rôles de management professionnel, comme celui de directeur financier ou de DRH. Sans une réforme profonde du système, il y a aussi ce risque, de tomber dans un amateurisme malsain, avec des biologistes qui, n’ont plus le rôle d’avant 2010, mais qui ne font non plus leur métier de base (responsabilité technique, validation, prestation de conseil, prélèvements). Ils deviennent une sorte de manageurs amateurs, impliqués parfois dans beaucoup de domaines, sans aucun rapport avec leur métier de base et sans remplir une fonction correctement. L’amateurisme saute aux yeux, surtout quand ils sont confrontés à des professionnels issus des grands écoles de management.
        Malheureusement ce genre de biologistes ne sert pas du tout de modèle pour les jeunes qui intègrent le système en ce moment.

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      4. Ces biologistes « hybrides », qui ont à priori entre 50 et 60 ans, sont tout de même appelés à disparaitre à moyen terme…
        Quant à faire basculer tous les TNS ultra en salariés, ce serait une véritable révolution.
        Mais lorsque l’on voit la médecine salariée en centres de santé arriver, rien n’est impossible. Mais attention au dégraissage avec le « n bio, n site » qui sautera avec.

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      5. Bonjour

        Pourriez-vous me donner les références de la procédure qui aurait abouti ? Quel point a pu motiver les juges …?
        Merci

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